Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/267

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Dans la narration qui regarde les personnes, on doit reconnaître, avec les faits, le langage et les passions des personnages ; par exemple :

Mon frère vient souvent me crier : Que faites-vous, Milion ? Pourquoi nous perdre ce jeune homme ? pourquoi a-t-il une maîtresse ? pourquoi boit-il ? pourquoi fournissez-vous à ses folles dépenses ? Vous l’habillez trop magnifiquement ; vous êtes trop faible pour lui. Mon frère est trop sévère ; il l’est plus que la justice et le bien ne l’exigent.

C’est là qu’on doit trouver réunis la variété, les grâces du style, la peinture des passions et des mouvements du cœur, la sévérité, la douceur, la crainte, l’espoir, le soupçon, le désir, la feinte, l’erreur, la compassion, des révolutions, des changements de fortune, des revers soudains, des succès inattendus, et un agréable dénouement. Mais c’est en traitant de l’élocution que nous enseignerons l’art d’employer tous ces ornements du style. Occupons-nous maintenant de la narration qui renferme l’exposition de la cause.

XX. Brièveté, clarté, vraisemblance, voilà les trois qualités de la narration. Elle a le mérite de la brièveté, si l’orateur commence où il faut commencer, sans remonter trop haut ; s’il ne donne point des détails, quand il ne faut que des résultats ; car souvent il suffit d’énoncer un fait sans en développer les circonstances ; s’il s’arrête au moment de dire des choses inutiles ; s’il ne s’égare pas dans des digressions ; s’il s’exprime de manière à ce qu’on puisse, de ce qu’il dit, conclure ce qu’il ne dit point ; s’il omet non seulement tout ce qui lui est défavorable, mais encore tout ce qui ne lui est ni avantageux ni nuisible ; enfin s’il ne se répète jamais, s’il ne revient jamais sur ses pas. Mais n’allez pas vous laisser tromper par un air de concision. Que de gens ne sont jamais plus longs que quand ils se piquent de brièveté’Ils tâchent de dire beaucoup de choses en peu de mots, au lieu de se borner à un petit nombre de choses essentielles ; car souvent on regarde comme concision de s’exprimer ainsi : « J’approche de la maison, j’appelle son esclave ; il me répond ; je lui demande son maître ; il m’assure qu’il n’y est pas. Il est impossible de dire plus de choses en moins de mots ; mais c’est encore être long, puisqu’il suffisait de dire qu’il n’y était pas. » Fuyez donc cette prétendue concision, et retranchez les circonstances inutiles avec autant de soin que les mots parasites.

La clarté de la narration consiste à exposer d’abord ce qui s’est fait d’abord, à suivre l’ordre des temps et des faits, à se conformer à la vérité ou à la vraisemblance. Il faut prendre garde de n’être ni confus ni entortillé ; ne point divaguer ; ne point remonter trop haut ; ne pas aller trop loin, et ne rien omettre d’essentiel ; en un mot, tous les préceptes donnés pour la brièveté peuvent s’appliquer à la clarté ; car souvent l’on est inintelligible plutôt à force d’être long qu’à force d’être obscur. Il faut aussi n’employer que des expressions claires ; mais nous parlerons de ce mérite en traitant de l’élocution.

XXI. La narration a de la vraisemblance, quand