Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/285

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Une énumération est vicieuse, quand vous pouvez répondre qu’on a passé sur quelque chose que vous voulez accorder, ou qu’on y a compris des raisons faibles, que vous pouvez tourner contre votre adversaire, ou que vous n’avez pas de motif raisonnable de ne pas accorder. Par exemple, voici une énumération qui n’est pas complète : « Puisque vous avez ce cheval, ou vous l’avez acheté, ou vous l’avez acquis par héritage, ou il vous a été donné en présent, ou il est né dans votre maison ; ou, si rien de tout cela n’est vrai, il faut que vous l’ayez dérobé. Or, vous ne l’avez ni acheté ni acquis par héritage ; il n’est point né chez vous, on ne vous l’a point donné en présent ; donc il faut que vous l’ayez dérobé. » Il est facile de réfuter ce raisonnement, si vous pouvez dire que ce cheval a été pris sur l’ennemi, et que vous l’avez reçu dans le partage du butin. Vous renversez toute l’énumération en rétablissant ce qu’elle avait omis.

XLVI. Vous pouvez encore attaquer une des parties de l’énumération, si vous êtes en mesure de le faire, et prouver, pour nous en tenir à l’exemple déjà cité, que vous avez eu ce cheval par héritage. Vous pouvez enfin convenir d’une chose qui n’a rien de honteux. Qu’un adversaire vous dise : « Ou vous méditiez une trahison, ou vous étiez guidé par la cupidité, ou vous aviez trop de complaisance pour un ami ; » pourquoi n’avoueriez-vous pas que vous avez agi par complaisance pour un ami ?

On peut réfuter une conclusion simple quand la conséquence n’est pas la suite nécessaire des antécédents. Si vous dites : « Cet homme respire, donc il vit. Le soleil brille, donc il fait jour, » le rapport de l’antécédent et du conséquent est sensible. Mais si vous dites : « Elle est mère, donc elle aime ses enfants ; — Il a commis quelques fautes, donc il est incorrigible, » il suffira, pour vous réfuter, de montrer qu’il n’y a pas de liaison nécessaire entre l’antécédent et le conséquent.

La théorie du raisonnement en général et de la réfutation a bien plus de profondeur et d’étendue que nous ne lui en donnons ici. Mais telle en est la nature qu’on ne peut la joindre à quelque partie de l’art oratoire, et qu’elle exige seule une étude particulière et une longue et sérieuse méditation. Aussi nous nous réservons de la développer ailleurs et dans un autre but, si nos faibles talents nous le permettent. Bornons-nous maintenant aux préceptes que donne la rhétorique sur l’éloquence. Nous venons d’exposer la manière de réfuter notre adversaire en niant une de ses propositions.

XLVII. Si vous les accordez toutes deux, vous pouvez encore attaquer la conséquence, et la comparer avec les prémisses. Vous dites, par exemple, que « vous étiez parti pour l’armée. » On vous répond par cet argument : « Si vous étiez venu à l’armée, vous auriez été vu par les tribuns militaires ; or, ils ne vous ont point vu ; donc vous n’étiez point parti pour l’armée. » Ici vous accordez la proposition et l’assomption, mais vous niez la conséquence, qui n’est pas exacte.

Pour nous rendre plus clairs, nous avons choisi un exemple où ce défaut était saillant ; mais souvent on se laisse vaincre par un raisonnement faux, mais subtil, soit parce qu’on oublie ce qu’on a accordé, soit parce qu’on accorde une proposition douteuse. Admettez-vous, dans le sens que vous