Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/33

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
xj
VIE DE CICÉRON.

factieux ; et déjà ils rêvaient le pillage des richesses qui frappaient leurs regards et éveillaient leur cupidité. À Rome, la populace, insensible au bien public, entendait avec plaisir retentir les bruits avant-coureurs d’une révolution. Les citoyens les plus puissants, les César, les Crassus, paraissaient voir avec indifférence les mouvements qui se préparaient. Il n’était pas même certain que les conspirateurs eussent en eux des ennemis déclarés. Ils avaient trouvé un digne chef dans Catilina, homme hardi, entreprenant, depuis longtemps habitué au crime, et qu’aucun forfait ne pouvait épouvanter. » Il demanda une seconde fois le consulat ; et les vétérans de Sylla vinrent de tous côtés à Rome pour appuyer au besoin ses prétentions par la violence.

Cicéron vit quel ennemi il avait à combattre. Il prit ses mesures. Son collègue Antoine était secrètement uni avec les factieux : il l’en détacha par l’appât de la plus riche des provinces consulaires. Il travailla ensuite à réunir dans l’intérêt d’une défense commune les sénateurs et les chevaliers, jusque-là divisés, et à s’assurer le concours de ces deux ordres, auxquels il espérait associer le peuple. Enfin, il porta contre la brigue une loi qui ajoutait dix ans d’exil à toutes les rigueurs des précédentes.

Catilina, surveillé, affaibli, menacé, forme, avec les plus audacieux de ses partisans, le dessein de tuer Cicéron, le jour même de l’élection, dans le désordre des comices. Le consul en est instruit, fait ajourner l’élection, cite Catilina devant le sénat, y dénonce ses projets, le somme de répondre. « Quel est mon crime ? dit l’accusé. De deux corps, dont l’un, avec une tête, est faible et languissant, et dont l’autre, grand et fort, n’a point de tête, je prends ce dernier pour lui en donner une. » Cette réponse était la guerre. Le sénat rend aussitôt le décret qui investissait les consuls de la dictature. Le jour des comices, Cicéron se présente avec assurance ; mais il a soin d’entr’ouvrir sa toge, et de laisser voir la cuirasse dont sa poitrine est armée. On reconnaît le danger du consul, on s’indigne, on l’entoure pour le défendre. L’élection se fait sans trouble. Les consuls désignés furent Silanus et Muréna.

Repoussé pour la seconde fois, Catilina rassemble ses complices, fixe le jour de l’exécution, distribue les rôles, et garde pour lui-même le commandement des troupes réunies en Étrurie sous Mallius. Le soulèvement devait éclater à la fois dans les différentes parties de l’Italie. P. Lentulus, Céthégus, Autronius, et d’autres, devaient mettre le feu à tous les quartiers de Rome, égorger tous les magistrats, tous leurs ennemis, un seul excepté, le fils de Pompée ; otage qui leur répondrait du père. Dans la confusion du massacre et de l’incendie, Catilina devait paraître avec son armée aux portes de Rome, et s’en rendre maître.

Mais la vigilance de Cicéron pouvait déjouer ce complot. Catilina voulut s’en défaire avant de partir. Deux chevaliers se chargèrent de le tuer le lendemain matin dans son lit. Ils se présentent chez Cicéron ; ils trouvent une garde à la porte, et l’entrée leur est refusée.

À peine, en effet, ces résolutions avaient-elles été formées, que Cicéron les avait apprises de la maîtresse d’un des conjurés. Il convoque le sénat au Capitole, dans le temple de Jupiter, où l’on ne s’assemblait qu’aux jours d’alarmes ; et là, il commence à dérouler le tableau des horreurs qu’on médite. Tout à coup l’on voit entrer Catilina ; Cicéron, interrompant son discours, l’apostrophe aussitôt par un des plus beaux mouvements que l’indignation ait jamais fournis à l’éloquence. (Ire Catil.) Catilina, confondu, balbutie quelques mots ; mais interrompu par les clameurs du sénat, il sort en jetant cette déclaration de guerre : J’éteindrai sous des ruines l’incendie allumé contre moi. Il retourne chez lui, tient un dernier conseil, et dans la nuit même il prend le chemin de l’Étrurie.

On accusa Cicéron, et cette accusation s’est perpétuée jusqu’à nous, d’avoir laissé échapper Catilina, au lieu de le mettre en jugement. Mais le devait-il ? Lui-même a prouvé que non. Il avait dans la noblesse beaucoup d’ennemis, la plupart amis secrets du factieux. De tels juges l’eussent-ils condamné ? Même devant un tribunal équitable, était-ce assez, pour le perdre, du témoignage d’une courtisane ? Fallait-il lui donner les avantages d’un triomphe ? Le forcer de quitter Rome, c’était soustraire à son influence le sénat, l’ordre équestre, le peuple. Le forcer d’agir, c’était convaincre les plus incrédules de l’imminence du péril, et armer contre lui la république encore incertaine. Le forcer d’agir avant d’être prêt, c’était déjà l’avoir vaincu ; les forces de l’État feraient facilement le reste. Enfin, en séparant le chef de ses complices, il livrait ceux-ci à tous les hasards des résolutions extrêmes, à toutes les imprudences des ambitions rivales, et surtout, comme l’événement le prouva bientôt, à tous les pièges qui allaient leur être tendus. Le succès justifia toutes les mesures de Cicéron. Sa conduite, en cette circonstance, est au-dessus de toutes les accusations, comme de tous les paradoxes historiques.

Les amis de Catilina publièrent qu’il était allé en exil à Marseille ; et le bruit, qui s’en répandit dans Rome, provoqua un retour d’opinion hostile au consul, qu’on accusait de tyrannie. « Il était sans exemple, disait-on, qu’on eût forcé un citoyen à se bannir, avant d’avoir prouvé son crime. » Cicéron, qui savait Catilina en marche vers le camp de Mallius, convoqua le peuple, réfuta ces bruits, dit où était le fugitif, où il allait, et répondit du salut de l’État. (IIe Catil.)

La vérité ne tarda pas à confirmer ses paroles.