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NOTES SUR L’INVENTION.

tote rapporte qu’après l’expulsion des tyrans de Sicile, lorsque les affaircs des particuliers, longtemps interrompues, reprirent leurs cours devant les tribunaux, Corax et Tisias rédigèrent quelques préceptes sur l’art de parler en public ; car, ajoute-t-il, personne jusque-la n’avait assujetti les discours à aucun art ni à aucune règle, quoiqu’on en prononçât et qu’on en écrivit même d’assez soignés, et que Protagoras eût mis par écrit, vers ce temps, des dissertations appelées aujourd’hui lieux communs. Ils s’occupèrent surtout de l’éloquence du barreau, et c’est presque la seule chose qui fût enseignée dans leur rhétorique. Aristote ; Cicéron, Brutus, chap. 12 ; de l’Orat., liv. i, etc. ; Quint., ii, 1 7 ; iii, 1, etc.

Rhetor Isocrates. Isocrate, contemporain de Platon, était plus âgé que lui de six ans. Il ne put survivre à la défaite de Chéronée. Après avoir reçu les leçons de Gorgias, de Prodicus et des plus habiles rhéteurs de la Grèce, il fit des plaidoyers pour ceux qui n’étaient pas en état de défendre eux-mêmes leur cause ; mais la faiblesse de.> ;on organe et une excessive timidité l’écartèrent toujours de la tribune et du barreau. Il ouvrit des cours publics d’éloquence, et compta parmi ses disciples, des rois, des généraux, des hommes d’État, des écrivains dans tous les genres. « Malheureusement pour lui, ses ouvrages, remplis d’ailleurs de grandes beautés, fournissent des armes puissantes à la critique. Son style est pur et coulant, plein de douceur et d’harmonie, quelquefois pompeux et magnifique, mais quelquefois aussi traînant, diffus et surchargé d’ornements qui le déparent. Son éloquence n’était pas propre aux discussions de la tribune et du barreau ; elle s’attache plus à flatter l’oreille qu’à émouvoir le cœur. On est souvent fâché de voir un auteur estimable s’abaisser à n’être qu’un écrivain sonore, réduire son art au seul mérite de l’élégance, asservir péniblement ses pensées aux mots, éviter le concours des voyelles avec une affectation puérile, n’avoir d’autre objet que d’arrondir des périodes, et d’autre ressource pour en symétriser les membres, que de les remplir d’expressions oiseuses et de figures déplacées. Comme il ne diversifie pas assez les formes de son élocution, il finit par refroidir et dégoûter le lecteur.... Il ne persuade ni n’entraîne, parce qu’il parait plus occupé de son art que des vérités qu’il annonce…. Malgré ces défauts, auxquels ses ennemis en ajoutent beaucoup d’autres, ses écrits présentent tant de tours heureux et de saines maximes, qu’ils serviront de modèles à ceux qui auront le talent de les étudier. C’est un rhéteur habile, destiné à former d’excellents écrivains, c’est un instituteur éclairé, toujours attentif aux progrès de ses disciples et au caractère de leur esprit. » Voyage d’Anacharsis, chap. 8. Voyez aussi l’Essai sur les Éloges, chap. 7, etc.

V. Causa distribuitur. C’est ainsi que Cicéron s’attache à prouver, dans la Milonienne, chap. 13, que son client n’a point dressé d’embûches à Clodius, et que ce dernier eu a dressé à Milon ; que Milon n’avait aucun motif de haine contre Clodius, tandis que Clodius en avait un très-grave contre l’accusé.

VIII. Defensor autem. Cicéron réfute ainsi le reproche de mauvaise conduite adressée Muréna,pour lequel il plaidait, pro Muren., chap. 6.

XIII. Deindc necessitudo. C’est l’intention qui excuse ou qui aggrave l’action. Mais comment sonder les replis du cœur humain, sans s’exposer à un grand nombre de méprises, toutes les fois que l’intention n’est pas exprimée. Les hommes sont naturellement portés à penser que celui qui a voulu l’action en a voulu aussi toutes les suites. Cette propension est souvent un obstacle insurmontable qui s’oppose au triomphe de l’innocence et de la vérité. Il faut être doué de beaucoup de pénétration et de sagacité, pour juger de ce que pensait intérieurement un accusé, au moment de commettre un délit, si cet accusé n’était pas familiarisé avec le crime. L’homme de bien, chargé de prononcer sur le sort d’un prévenu, ou d’éclairer la conscience des juges, doit, avant d’examiner l’intention, dans l’intérêt de l’accusé, du corps social et du genre humain, écarter les préjugés d’habitude, devenir étranger à ses propres passions, comme à celles des autres ; et si, après le plus mûr examen, il n’est pas absolument content de lui-même, il ne doit jamais aller au delà du doute. C’est la voix de sa conscience qui lui dit alors : Arrête,, et crains de prononcer. Tu veux sauver riimocence, prends garde de laisser échapper le coupable ; tu désires punir un coupable, prends garde de frapper l’innocent. Dans cette pénible alternative, ne confonds jamais l’horreur que le crime inspire, avec celui (pfon accuse de l’avoir commis ; et si tu dois être entrainé par l’erreur, la plus excusable sera toujours celle qui absout, plutôt que celle qui condamne ; celle qui conserve, plutôt que celle qui détruit. Le repentir peut entrer dans l’âme du coupable que tu conserves, et lu ne rappelleras pas à la vie l’innocent que le glaive des lois aura sacrifié. — Je suis persuadé que l’auteur du Traité de l’Invention était, ainsi que tous les rhéteurs anciens, pénétré de ces principes, et que les moyens multipliés qu’il indique à l’orateur ne sont point, comme bien des gens se l’imaginent, des moyens subtils et artificieux de trouver le crime où il n’est pas.

XV. In multas causas. En faisant une aussi longue énumération des lieux communs, Cicéron n’avait certainement pas en vue ces détails insignifiants qui s’adaptent indifféremment à toutes les causes, et qui dès lors n’appartiennent à aucune.

XIX. Prœtoriis exceptionibus. Le préteur de la ville ne rendait point de jugement, excepté dans les affaires importantes ; mais c’était lui qui donnait action aux plaideurs, et les adressait au tribunal qui convenait à leur cause.

XX. Recuperatoris judicio. Le préteur déléguait quelquefois un juge qui, en vertu de sa commission, connaissait des causes dans lesquelles il s’agissait du recouvrement et de la restitution des deniers et des effets des particuliers. Ce juge était ap[ielé rrcuperalor, et le jugement qu’il rendait était nommé judicium recuperatorium. La cause de Cécina, qu’on trouvera au tome ii des Œuvres de Cicéron, fut plaidée devant une commission composée de rccuperatores. On voit aussi dans ce passage que les récupérateurs prononçaient également sur les dommages et intérêts, puisque le chevalier qui a eu la main coupée réclame un dédommagement.

XXI. Possessio heredum secundorum est. On pouvait, dans les cas déterminés par la loi, casser un testament après la mort du testateur : car les personnes qu’il y nommait pouvaient mourir avant lui, où n’avoir pas la capacité requise. D’après ces considérations, on permit de désigner des seconds et même des troisièmes héritiers, qui se remplaçaient les uns les autres.

XXVI. Me… vicisse moleste ferebat.

Ne me dis point qu’elle est et mon sang et ma sœur.
Mon père ne peut plus l’avouer pour sa fille :
Qui maudit son pays renonce à sa famille ;
Des noms si pleins d’amour ne lui sont plus permis ;
De ses plus chers parents il fait ses ennemis ;
Le sang même les arme en haine de son crime ;
La plus prompte vengeance en est plus légitime, etc.

Corneille, les Horaces, act. VI, sc. 6.

La réponse du vieil Horace à l’accusation de Valère, acte V, sc. 3, est plus éloquente sans doute que ne l’étaient les déclamations qu’on faisait sur ce sujet dans les écoles de Rome. Le même discours n’est qu’ébauché par file-Live, 1, 26 ; notre grand Corneille en a fait un chef d’œuvre de pathétique et de dignité.