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VIE DE CICÉRON.

consulter César. Il lui avait écrit, et attendait sa réponse, que le proconsul des Gaules ne se hâta point d’envoyer. Sextius, un des nouveaux tribuns, alla en Gaule avec de nouvelles lettres de Pompée à César, lequel consentit enfin au retour de Cicéron, mais en y mettant des conditions dont la discussion entraîna de nouveaux délais.

La nouvelle de ces premiers succès, et surtout l’approche de Pison, son ennemi, qui venait prendre possession du gouvernement de la Macédoine, le firent sortir précipitamment de Thessalonique. Il se rapprocha de l’Italie, et revint à Dyrrachium, quoique ce fût rentrer dans les limites d’où l’excluait la loi de Clodius.

Cependant l’audace de ce tribun lui suscitait chaque jour des ennemis, même parmi ses anciens complices. Après avoir attaqué Gabinius et Pompée, il attaqua César, et, avant de résigner l’office d’où lui venait tout son pouvoir il demanda que les actes du proconsul fussent cassés par le sénat, disant qu’à cette condition il consentirait à rappeler Cicéron, et, ajoutait-il, à le rapporter sur ses épaules.

Cette satisfaction lui ayant été refusée, il se retourna contre l’exilé. Les dix tribuns élus pour l’année suivante (696) s’étaient solennellement engagés à prendre les intérêts de Cicéron ; Clodius en corrompit deux, L. Attilius Serranus, et Num. Q. Gracchus, dont l’opposition suffisait pour empêcher ce retour désiré par tout le monde. Excepté ces deux tribuns, et le préteur Appius, tous les magistrats étaient favorables à Cicéron. Des deux consuls désignés, l’un, P. Corn. Lentulus, était son ami intime ; l’autre, Q. Métellus, s’était naguère associé aux fureurs de Clodius ; mais voyant que les dispositions de Pompée et de César étaient changées, il laissa espérer que sa haine ne serait pas inflexible.

Le premier jour de janvier (696), après les cérémonies ordinaires de l’inauguration, Lentulus ouvrit son consulat par la proposition d’un décret qui rappelait Cicéron. P. Cotta, invité à dire le premier son avis, fit ressortir toutes les nullités de la loi de Clodius, exalta le dévouement de Cicéron, et déclara qu’on devait non-seulement le rappeler, mais lui conférer de nouveaux honneurs. Pompée ajouta que, pour rendre la réparation plus éclatante, il fallait la faire aussi voter par le peuple. On allait dresser le décret, lorsque le tribun Serranus y mit opposition, et en demanda l’ajournement au lendemain. Ni prières ni menaces ne triomphèrent de sa résolution ; et tout ce qu’obtinrent les supplications de son beau-père, Oppius, qui se jeta à ses pieds, fut la promesse de laisser passer le décret le jour suivant. Le lendemain, il s’y opposa sans restriction. Clodius lui avait, pendant la nuit, donné le double du prix de leur marché.

Le sénat, loin de se laisser arrêter par cet obstacle, décida que la loi serait proposée au peuple ; et la publication en fut fixée au 22. Ce jour-là, Fabricius, un des tribuns de Cicéron, se rendit à la tribune, avant le lever du soleil, pour s’en saisir avec une forte garde. Mais la diligence de Clodius avait prévenu la sienne. Il occupait les avenues du forum, décidé à combattre à la tête de ses clients, de ses esclaves, qu’il avait armés, et de ses gladiateurs, dont il venait d’augmenter le nombre. Il attaqua Fabricius, tua une partie de son escorte, et le chassa du forum. Cispius, autre tribun, qui vint au secours de son collègue, fut repoussé d’une manière encore plus sanglante. Avec lui était le frère de Cicéron. Les gladiateurs, auxquels il était désigné d’avance, l’attaquèrent et l’auraient tué, s’il ne leur eût échappé à la faveur des ténèbres, et en se tenant caché, jusqu’à la fin de la mêlée, sous les cadavres amoncelés dans le forum. Le tribun Sextius fut laissé pour mort sur le champ de bataille. Clodius, réfléchissant que ce meurtre pourrait le perdre, prit tout à coup la résolution de tuer un de ses propres tribuns, pour en accuser ses adversaires, et rendre ainsi le crime égal entre les deux partis. La victime dont il fit choix fut Num. Q. Gracchus, lequel, informé à temps de ce projet, sortit de Rome sous I’habit d’un muletier.

Resté maître de la place, Clodius alla mettre le feu au temple des Nymphes, où l’on conservait les registres publics. Tout fut consumé par les flammes. Ensuite, la torche incendiaire d’une main et l’épée de l’autre, il attaqua la maison du tribun Milon et celle du préteur Cécilius ; mais il fut repoussé dans ces deux entreprises. Milon, à qui l’on refusa le droit de le citer en justice, prit le parti d’opposer désormais la force à la force, et acheta une troupe de gladiateurs, à la tête desquels il en venait souvent aux mains avec son ennemi, dans les rues de Rome.

Clodius perdait tous les jours de son crédit et de ses forces. Les tribuns l’avaient abandonné, et le sénat put rendre enfin son décret. Il vota des remercîments aux villes qui avaient accueilli Cicéron, arrêta que l’on rebâtirait aux frais de l’État ses maisons détruites, et chargea les consuls de publier par toute l’Italie que tous ceux qui aimaient la patrie étaient invités à venir à Rome pour contribuer au rappel de l’illustre exilé. Cette invitation y attira une foule innombrable, à laquelle on donna des jeux et des spectacles. Pompée, qui était alors à Capoue, revendiqua l’honneur de présider à ces comices immenses. Mais Clodius essaya de lutter encore, réunit un jour ses affidés au forum, parodia les comices, et voulut faire passer pour la voix du peuple romain la réponse de cette poignée de mercenaires. Enfin, il se passa encore plusieurs mois avant que le peuple pût être régulièrement convoqué, le 4 d’août (696). Le rappel fut décidé aux acclamations de toutes les centuries. Clodius, réduit à