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VIE DE CICÉRON.

un Traité des Lois, qui servait de complément à son Traité de la République, composé trois ans auparavant (699) ; et il commençait une Histoire romaine.

Les fonctions de proconsul et de général excitaient l’ambition des citoyens de Rome, en leur offrant comme un fruit certain les richesses et le pouvoir. Un proconsul étalait dans sa province la pompe des plus puissants monarques. Les princes voisins venaient prendre ses ordres, et composer sa cour. Si son inclination le portait à la guerre, il ne manquait jamais de prétexte pour la faire. Il obtenait le titre d’imperator, et revenait à Rome pour y briguer le triomphe ; prétention devenue commune à tous les gouverneurs de provinces. La facilité d’amasser de l’argent était sans bornes. Outre les sommes immenses qu’ils recevaient du trésor, pour eux, pour leur suite, leurs équipages et leur vaisselle, ils en prélevaient d’énormes sur les revenus que la république tirait des peuples conquis, et sur la paye des armées. Ils avaient autour d’eux une troupe d’amis et de clients affamés, lieutenants, tribuns, préfets, des légions d’affranchis et d’esclaves, pressés de s’enrichir de la dépouille des provinces et par la vente des faveurs de leurs maîtres. L’usage avait consacré ces exactions.

Tous les avantages que Cicéron pouvait se procurer dans une province telle que la Cilicie, n’étaient pas faits pour le toucher. Des fonctions de cette nature ne convenaient, il le dit souvent, ni à son caractère, ni à ses talents, et son premier soin fut de se précautionner contre une prolongation de son proconsulat, au delà d’une année, qui était la durée légale de cette charge. Il craignait qu’on ne s’imaginât lui faire honneur en lui continuant l’administration d’une des plus belles provinces de l’empire. Aussi, avant son départ il pria tous ses amis de ne pas souffrir qu’on se trompât si cruellement sur ses véritables désirs ; et pendant son absence, il n’écrivit pas une seule lettre à Rome sans leur renouveler la même prière.

Il partit, au commencement de mai 702, avec son frère Quintus, qui avait renoncé, pour le suivre, à une commission semblable dans les Gaules. Il s’arrêta quelques jours dans sa maison de Cumes, près de Baies, où il reçut tant de visites, qu’il crut avoir une petite Rome autour de lui. Hortensius était au nombre des visiteurs. « Quels ordres, lui demanda-t-il, avez-vous à me donner pour le temps de votre absence ? Un seul, répondit Cicéron ; c’est d’empêcher qu’elle se prolonge. »

Il passa par Tarente, pour voir Pompée, qu’une maladie y retenait alors dans une de ses maisons de campagne. Ils passèrent trois jours ensemble à s’entretenir des affaires publiques : et Cicéron tira de lui quelques leçons sur l’art militaire.

Après douze autres jours passés à Brindes, il s’embarqua le 15 Juin pour Antium, avec tout son cortége, et arriva le 26 à Athènes, où il séjourna plus longtemps qu’il n’avait voulu, retenu par les honneurs publics qu’on lui rendit et par le charme qu’il trouvait dans les entretiens de tous les savants. Il s’était logé dans la maison d’Aristus, le premier professeur de la secte académique. Il prit terre à Éphèse le 22 juillet, après quinze jours d’une navigation pénible. Il y reçut aussitôt les députations de toutes les villes de l’Asie, et les félicitations d’une infinité de personnages célèbres qui étaient venus de fort loin à sa rencontre.

Enfin, prenant directement le chemin de sa province, il arriva à Laodicée, une des principales villes de son gouvernement, le dernier de juillet ; car il a soin de dater de ce jour le commencement de son année proconsulaire, « de peur, dit-il, qu’on ne le trompe en la faisant commencer plus tard. »

Il ne tarda pas à apprendre que les Parthes méditaient d’envahir la Cilicie. Il alla, pour observer leurs mouvements, camper au pied du mont Taurus. Son armée était forte de quatorze mille six cents hommes, sans y comprendre les troupes auxiliaires des États voisins, ni celles de Déjotarus, roi de Galatie, et son ami particulier. Les Parthes s’étant partagés en deux corps, l’un s’était avancé dans la Syrie jusqu’à Antioche, où il tenait Cassius bloqué ; l’autre pénétra dans la Cilicie. Le proconsul, au moyen d’une marche prompte et habile, les surprit, les força à la retraite, fit lever le siége d’Antioche, et délivra Cassius, qui, tombant sur eux dans leur fuite, les tailla en pièces, et tua leur général.

À l’ouverture d’une guerre que la défaite de Crassus avait rendue terrible aux Romains, on parlait à Rome de leur opposer Pompée ou César ; et les amis de Cicéron, qui n’avaient pas une haute idée de ses talents militaires, n’étaient pas sans inquiétude. L’un d’eux, Papirius Pétus, épicurien, connu par son esprit, crut devoir lui envoyer quelques instructions militaires. Cicéron se contenta d’y faire une réponse moqueuse : « Notre lettre a fait de moi un général consommé ! Je ne vous aurais pas cru si savant dans l’art de la guerre. On voit bien que vous avez lu. J’aurai donc des vaisseaux, puisqu’il n’y a point de meilleure défense contre la cavalerie des Parthes. » Toutefois, Cicéron avait lui-même eu soin d’amener avec lui un lieutenant, sur l’expérience duquel il ne craignait pas d’avouer qu’il comptait beaucoup : c’était Pontimius, déjà célèbre par la gloire qu’il avait eue de triompher des Allobroges.

Cicéron, après ce succès sur les Parthes, attaqua à l’improviste les habitants des montagnes voisines ; nation fière, indépendante, qui s’était toujours soustraite au joug des Romains. Il en tua une partie, fit beaucoup de prisonniers, prit six forts, en brûla davantage, et campa sur le lieu même où, avant