Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/525

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rius, qui, étant tribun du peuple, triompha de l’interroi Appius, malgré son éloquence. Celui-ci tenant les comices, et rejetant, au mépris des lois, un consul plébéien, Curius força les sénateurs de ratifier d’avance l’élection qui serait faite : succès bien remarquable, à une époque où la loi Ménia n’existait pas encore. On peut aussi supposer du talent à M. Popillius qui, étant consul et en même temps prêtre de Carmenta, reçut, au moment où il faisait un sacrifice public, la nouvelle d’un soulèvement du peuple contre le sénat, et tout à coup, sans quitter la robe sacerdotale, se présenta devant la multitude, et calma la sédition par l’ascendant de ses paroles et de son caractère. Toutefois je ne crois pas avoir lu nulle part que ces anciens personnages aient passé pour des orateurs, ni qu’en général l’éloquence fût alors encouragée par aucune distinction ; je ne fais que le conjecturer. Ajoutons C. Flaminius qui, pendant son tribunat, fit ordonner par une loi le partage des terres conquises dans la Gaule et dans le Picénum, et qui, étant consul, fut tué à la bataille de Trasimène : il exerça, dit-on, par la parole, beaucoup d’influence sur le peuple. Enfin le grand Fabius eut de son temps la réputation d’orateur. Il en est de même de Q. Métellus qui, pendant la seconde guerre Punique, fut consul avec L. Véturius Philon.

XV. Mais le premier Romain qui, d’après des témoignages authentiques, ait possédé le talent et la renommée d’un homme éloquent, est M. Cornélius Céthégus. Ennius nous atteste son éloquence ; et c’est, à mon avis, un témoin digne de foi. Il l’avait d’ailleurs entendu lui-même ; et comme Céthégus était mort quand il écrivait, on ne peut le soupçonner d’avoir sacrifié la vérité à l’amitié. Voici comme il en parle ; c’est, je pense, au neuvième Livre de ses Annales :

On donna pour collègue à Tuditanus un orateur célèbre par la douceur de son langage, M. Cornélius Céthégus, fils de Marcus.

Il l’appelle orateur, et lui attribue la douceur du langage ; qualité bien rare aujourd’hui ; car quelques-uns de nos orateurs aboient plutôt qu’ils ne parlent. Mais voici le plus bel hommage qu’on puisse rendre à l’éloquence :

Les contemporains de ce grand homme, ajoute le poète, disaient qu’il était la fleur des Romains et l’ornement de son siècle.

Et c’est avec raison ; car si le génie est la gloire de l’homme, l’éloquence est la lumière qui fait briller le génie ; et l’on a justement appelé la fleur des Romains, celui qui était doué de cet admirable talent.

C’était, dit-il encore, l’âme de la Persuasion (Suadae medulla ).

Ennius a nommé Suada ce que les Grecs appellent Πειθὼ, c’est-à-dire, la Persuasion, fille de l’Éloquence. Cette déesse reposait, suivant Eupolis, sur les lèvres de Périclès : Ennius dit que notre orateur en était l’âme. Au reste, Céthégus fut consul avec P. Tuditanus pendant la seconde guerre Punique, et M. Caton fut questeur pendant leur consulat, exactement cent quarante ans avant le mien ; et sans le témoignage unique d’Ennius, le talent oratoire de Céthégus serait,