Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/535

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lettres. Son émule, P. Décius, n’était pas sans talent oratoire ; mais son esprit turbulent se remarque jusque dans le désordre de son langage. M. Drusus ; fils de Caïus, qui, dans son tribunat, sut arrêter les entreprises de son collègue C. Gracchus, tribun pour la seconde fois, fut également distingué par la force de son éloquence, et par son grand caractère. A côté de lui se place son frère C. Drusus. N’oublions pas, mon cher Brutus, votre parent M. Pennus, qui fut aussi dans son tribunat un redoutable adversaire pour le second des Gracques. Il était un peu plus âgé que ce dernier ; car Gracchus fut questeur sous les consuls Lépidus et Orestès ; et Pennus, dont le père, Marcus, avait été consul avec P. Élius, était alors tribun. Pennus, qui pouvait prétendre à tout dans la carrière des honneurs, mourut après son édilité. Quant à T. Flamininus, que j’ai encore vu moi-même, tout ce que je sais de lui, c’est qu’il s’exprimait avec une grande correction.

XXIX. À tous ces noms on joint C. Curion, M. Scaurus, P. Rutilius et C. Gracchus. Nous dirons peu de mots de Scaurus et de Rutilius, qui ne furent ni l’un ni l’autre de grands orateurs, et qui tous deux plaidèrent beaucoup de causes. On a vu souvent des hommes estimables qui, sans être doués d’un génie supérieur, se recommandaient cependant par d’utiles travaux. Au reste, ce n’est pas le talent, c’est le talent oratoire qui manquait à ceux dont nous parlons. En effet, ce n’est pas assez de voir ce qu’il faut dire, si on ne sait point le dire avec agrément et facilité ; et ceci ne suffit point encore, si ce qu’on dit n’est animé par la voix, le geste, le regard. Ai-je besoin d’ajouter qu’il faut, avec cela, connaître les règles ? sans elles, tout ce que le talent naturel fait dire de lien est le fruit d’une inspiration du moment, sur laquelle on ne peut pas toujours compter. Le langage de Scaurus annonce un homme sage et droit ; il y règne une dignité parfaite, un ton qui commande la confiance : ce n’est point un avocat qui plaide, c’est un témoin qui dépose.

Ce style ne paraissait convenir que médiocrement au barreau, mais il convenait parfaitement aux délibérations du sénat, où Scaurus occupait la première place. Il prouvait à la fois les lumières, et, ce qui était plus essentiel, la bonne foi de l’orateur. Scaurus tenait de la nature ce précieux avantage que l’art ne donne point. Ce n’est pas que l’art, comme vous savez, n’élève jusque-là ses prétentions. Il existe de Scaurus des discours, et sa Vie, écrite par lui-même, en trois livres ; elle est dédiée à L. Fufidius, qui eut aussi quelque réputation au barreau. Personne ne la lit, malgré le profit qu’on en pourrait tirer, et cependant on lit la Vie et l’Éducation de Cyrus, ouvrage très beau sans doute, mais moins approprié à nos mœurs, et qui, en vérité, n’est pas préférable à celui de Scaurus.

XXX. Quant à Rutilius, sa manière avait quelque chose de sérieux et d’austère. Scaurus et lui étaient l’un et l’autre d’un caractère violent et irascible. Aussi tous deux ayant demandé en même temps le consulat, celui qui fut repoussé ne manqua pas d’accuser de brigue son heureux compétiteur ; et bientôt Scaurus absous, traduisit à son tour Rutilius en justice. Rutilius était fort occupé au barreau, et cette grande activité lui faisait d’autant plus d’honneur, qu’il était encore l’oracle du droit, sur lequel il donnait de fréquentes