Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/565

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de Catulus, avait, il faut le dire, une légère teinte de rusticité. C’était comme une route différente, qui, à travers des champs incultes et sauvages, le conduisait à la même gloire. Sisenna aimait tellement à s’ériger en réformateur de la langue, que l’accusateur C. Rusius ne réussit pas même à le dégoûter des mots inusités. — Que voulez-vous dire, interrompit Brutus, et quel est ce C. Rusius ? — C’était un vieil accusateur qui poursuivait en justice Chritilius, et auquel Sisenna, défenseur de l’accusé, dit que quelques-uns de ses griefs étaient sputatilica. Juges, s’écrie Rusius, on veut me surprendre, si vous ne venez à mon aide. Sisenna, je ne sais ce que vous voulez dire ; je crains un piége. Qu’est-ce que cela, spulatilica ? pour sputa, je sais bien ce que c’est, mais tilica, je l’ignore. On éclata de rire, et mon ami Sisenna n’en continua pas moins de croire qu’on parle bien, quand on ne parle pas comme tout le monde.

LXXV. César, au contraire, prenant la raison pour guide, corrige les vices et la corruption de l’usage, par un usage plus pur et un goût plus sévère. Aussi, lorsqu’à cette élégante latinité, nécessaire à tout Romain bien né, ne fût-il pas orateur, il ajoute les ornements de l’éloquence, ses pensées sont comme autant de tableaux parfaits qu’il place dans un jour favorable. Doué d’un si beau privilège, qu’il unit d’ailleurs aux autres parties de l’art, je ne vois pas à quel rival il pourrait le céder. Sa déclamation est brillante et pleine de franchise ; sa voix, son geste, tout son extérieur a quelque chose de noble et de majestueux. — J’aime infiniment ses discours, dit Brutus ; j’en ai lu beaucoup. Il a écrit aussi des mémoires de ses campagnes. — Oui, répondis-je, et d’excellents. Le style en est simple, pur, gracieux, et dépouillé de toute pompe de langage : c’est une beauté sans parure. En voulant fournir des matériaux aux historiens futurs, il a peut-être fait plaisir à de petits esprits, qui seront tentés de charger d’ornements frivoles ces grâces naturel-les ; mais pour les gens sensés, il leur a ôté à jamais l’envie d’écrire ; car rien n’est plus agréable dans l’histoire qu’une brièveté correcte et lumineuse. Mais revenons, si vous le voulez, aux orateurs qui ne sont plus.

LXXVI. C. Sicinius, né d’une fille de Q. Pompéius le censeur, et mort après sa questure, mérite quelque estime, et en obtint de son temps. Il sortait d’une école qui donne peu à la magnificence du style, mais qui offre des ressources à l’invention, celle d’Hermagoras. Elle prescrit à l’orateur des lois et des règles certaines. Si ses préceptes n’ont pas un grand éclat (car ils sont un peu secs), ils ont au moins de la méthode, et ouvrent des routes qui ne permettent pas de s’égarer. C’est en suivant ces routes, et en venant au barreau bien préparé, que Sicinius, à l’aide d’une élocution assez facile, et dirigé par les principes et les règles de l’école, se fit compter, encore jeune, au nombre des avocats. Alors vivait aussi un homme très savant, C. Visellius Varron, mon cousin, qui était de l’âge de Sicinius. Il mourut étant juge de la question, après avoir exercé l’édilité curule. J’avoue que le jugement du peuple à son égard différait du mien ; car il était peu goûté du public. Son style impétueux était obscur à force de finesse,