Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/568

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Mais disons quelques mots de M. Calidius. Ce n’était pas un orateur de la classe ordinaire ; que dis-je ? il faisait presque à lui seul une classe particulière. Ses pensées profondes et originales étaient revêtues de formes légères et transparentes ; rien de si aisé, rien de si flexible que le tour de ses périodes. Il faisait des mots tout ce qu’il voulait ; et nul orateur ne savait aussi bien que lui se rendre maître de sa phrase. Sa diction était claire comme le ruisseau le plus limpide. Elle coulait avec une aisance dont jamais rien n’interrompait le cours. Pas un mot qui ne fût mis à sa place, et enchâssé dans le discours, comme les différentes pièces dans un ouvrage de marqueterie. Pas un terme dur, inusité, bas ou recherché. Au lieu du mot propre, il employait l’expression figurée ; mais avec tant de bonheur, que jamais elle ne paraissait usurper une place étrangère : elle venait tout naturellement se mettre à la sienne. Au reste, rien chez lui de lâche ni de décousu : tout était assujetti à une mesure, et cette mesure n’était ni apparente, ni toujours la même ; elle savait se varier et se cacher sous mille formes diverses. Son style étincelait de ces ornements d’expressions et de pensées, que les Grecs appellent figures : distribués dans tout le discours, c’étaient comme autant de brillants qui en relevaient la parure. Il saisissait avec une grande sagacité le point de la question, qu’il faut chercher dans les nombreuses formules des jurisconsultes. Enfin, ses plans étaient disposés avec art ; son action, noble, toute sa manière, pleine de calme et de sagesse.

LXXX. Si la perfection consiste à parier avec grâce, il ne faut chercher rien de plus accompli ; mais nous avons dit tout à l’heure que l’orateur a trois devoirs à remplir, instruire plaire et toucher. Or, de ces trois parties de l’art, Calidius excellait dans les deux premières. Il savait répandre sur une question la lumière la plus vive, et attacher par le plaisir l’esprit de ses auditeurs ; mais il manquait de cette troisième qualité, qui consiste à remuer les cœurs et allumer les passions, véritable triomphe de l’éloquence. Il n’avait aucune force, aucune véhémence ; soit qu’il ne voulût pas en avoir, regardant peut-être comme des forcenés et des gens en délire, ceux dont le ton est plus élevé, et l’action plus impétueuse ; soit que la nature ou l’habitude ne l’eussent pas ainsi formé ; soit enfin qu’il ne pût mieux faire. Toutefois, si ce talent est inutile, il ne l’eut point ; s’il est nécessaire, il lui manqua. Je me souviens même que dans ma réponse à son accusation contre Q. Gallius, auquel il reprochait d’avoir voulu l’empoisonner (complot qu’il avait surpris, disait-il, et dont il apportait des preuves manifestes, écrits, témoignages, révélations, aveux faits à la torture), après qu’il eut savamment et habilement disserté sur ce crime, je commençai par faire valoir les arguments que fournissait la cause ; ensuite j’en tirai un nouveau, de ce qu’à peine échappé à la mort, et tenant dans ses mains les preuves irrécusables de l’attentat médité contre ses jours, il en parlait avec cette mollesse, ce calme, cet abandon. « Si tout cela, M. Calidius, était autre chose qu’une chimère, est-ce de ce ton que vous en parleriez ? Je connais votre éloquence, et vous plaidez avec chaleur quand il