Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/571

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voulez écrire une histoire et non plaider des causes. Thucydide proclame avec franchise et dignité les événements politiques ; mais il ne s’est point occupé de cette éloquence populaire et animée qui convient au barreau. Quant aux discours qu’il a semés en grand nombre dans son histoire, j’ai coutume d’en faire l’éloge ; mais je ne pourrais pas les imiter quand je le voudrais, et je ne le voudrais peut-être pas, quand je le pourrais. Un amateur de vin de Falerne ne le veut ni tellement nouveau qu’il soit recueilli sous les derniers consuls, ni si vieux qu’il remonte jusqu’au consulat d’Opimius ou d’Anicius. « Ce sont pourtant là les meilleures années. » Sans doute ; mais le temps a fait perdre à ce vin ce parfum que nous recherchons, et il n’est vraiment plus supportable. Dirons-nous pour cela qu’il faut boire le vin au sortir de la cuve ? non certes, il le faut vieux ; mais raisonnablement. Je conseillerai de même à nos orateurs d’éviter à la fois ce style trop moderne, que je comparerais au vin sortant du pressoir, et qui fermente encore, et cette manière de Thucydide, d’une date excellente, mais trop vieille, comme le vin d’Anicius. Thucydide lui-même, s’il était venu plus tard, aurait eu quelque chose de plus mûr et de plus moelleux.

LXXXIV. « Imitons donc Démosthène. » Bons dieux, n’est-ce pas là le but de tous nos efforts, de tous nos désirs ? Ils diront que nous y réussissons mal. Eh ! nos prétendus Attiques ont-ils donc l’heureux privilège de réussir en tout ? Ils ne comprennent pas même un fait attesté par l’histoire, et qui ne pouvait manquer d’avoir lieu : c’est que quand Démosthène devait parler, on accourait, pour l’entendre, de toutes les parties de la Grèce ; mais eux, lorsqu’ils plaident, ils sont bientôt abandonnés, non seulement des spectateurs, chose déjà fort humiliante, mais des amis qui ont accompagné leur client au tribunal. Si une diction sèche et aride constitue l’atticisme, qu’ils soient donc Attiques, j’y consens ; mais qu’ils parlent au comice, dans les procès où un seul juge prononce debout. Il faut, pour remplir l’enceinte d’un tribunal, un ton plus élevé, une voix plus sonore. Je veux qu’à la nouvelle qu’un orateur doit parler, on se hâte d’occuper les sièges, que le lieu de l’audience se remplisse, que les greffiers s’empressent d’offrir ou de céder leurs places, que le concours soit nombreux et les juges, attentifs. Quand il se lève pour parler, je veux que l’assemblée se commande à elle-même le silence ; je veux des signes d’approbation réitérés, des transports d’admiration ; je veux enfin que le rire éclate, ou que les larmes coulent au gré de l’orateur ; en sorte qu’en voyant de loin ce spectacle, même sans rien entendre, on comprenne cependant que celui qui parle intéresse, et qu’il y a sur la scène un Roscius. Celui qui obtiendra un tel succès sera véritablement un orateur attique, comme le fut Périclès, comme le fut Hypéride, comme le fut Eschine, comme le fut surtout ce Démosthène dont nous parlons. Mais si aux riches ornements de l’éloquence ou préfère une diction fine, spirituelle, et qui soit tout à la fois d’un goût pur, et saine dans sa sécheresse, et qu’on en fasse un attribut de l’atticisme, je souscris à cet éloge ; car dans un art si varié et si grand, cet esprit mince et délié trouve aussi sa place. Il s’ensuivra qu’on peut parler avec atticisme sans bien parler, tandis qu’on ne