Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/574

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leur gloire ; puis Philippe, enfin Julius ; et son talent soutint dignement le parallèle avec ces grands orateurs. Il avait une mémoire à laquelle je ne crois pas que nulle autre ait été comparable. Sans rien écrire, il retrouvait ses idées dans les mêmes termes qu’il les avait conçues. Cette puissante faculté lui rendait fidèlement tout ce qu’il avait soit pensé, soit écrit, et lui rappelait, sans aucun secours étranger, toutes les paroles de ses adversaires. Son ardeur était si grande, que je n’ai jamais vu personne de si passionné que lui pour le travail. Il ne passait pas un seul jour sans plaider, au barreau, ou s’exercer dans le cabinet, et souvent le même jour il faisait l’un et l’autre. Sa manière était neuve et originale. Au moins avait-il deux choses qui n’étaient qu’à lui : les divisions par lesquelles il marquait les différents objets de son discours, les résumés par lesquels il rappelait les arguments de son adversaire et les siens. Heureux choix d’expressions brillantes, périodes harmonieuses, fécondité inépuisable, telles sont les qualités qu’il devait à un génie supérieur, fortifié par de continuels exercices. Sa mémoire embrassait tout l’ensemble d’un sujet ; sa pénétration eu saisissait tous les détails, et il ne laissait guère échapper aucun des moyens que fournissait la cause, soit pour la preuve, soit pour la réfutation. Sa voix était douce et sonore ; son geste, plein d’art, paraissait un peu étudié pour un orateur. Au moment des plus grands succès d’Hortensius, Crassus mourut, Cotta fut exilé, le cours de la justice fut interrompu par la guerre, et je commençai à venir au forum.

LXXXIX. La première année de la guerre, Hortensius était soldat ; la seconde, tribun militaire. Sulpicius et Antoine étaient absents comme lieutenants ; on ne rendait de jugements qu’en vertu de la loi Varia, toutes les autres procédures étant suspendues à cause de la guerre. Les avocats les plus employés (indépendamment des accusés qui se défendaient eux-mêmes), L. Memmius et Q. Pompéius, n’étaient pas des orateurs du premier rang ; toutefois c’étaient des orateurs. Dans ces causes témoignait Philippe, homme éloquent, dont les dépositions passionnées avaient toute la chaleur et tout le développement d’une accusation.

Ceux qui passaient alors pour les maîtres de l’art étaient magistrats, et chaque jour j’assistais à leurs harangues. C. Curion était tribun du peuple : au reste, il gardait le silence depuis qu’il s’était vu abandonné de toute l’assemblée. Q. Métellus Céler, sans être orateur, n’était cependant pas sans quelque talent pour la parole. Q. Varius, C. Carbon, Cn. Pomponius, la maniaient avec facilité. Aussi ne quittaient-ils pas la tribune. C. Julius, édile curule, prononçait presque tous les jours des discours soigneusement travaillés. J’écoutais avec le plus curieux empressement tous ceux que je viens de nommer, lorsque l’exil de Cotta pénétra mon cœur d’un premier chagrin. Auditeur assidu de ceux qui restaient, je me livrais avec ardeur à l’étude, et chaque jour écrivant, lisant, traitant des sujets, je ne me bornais pas encore à ces exercices oratoires. Varius venait, l’année suivante, d’être exilé en vertu de sa propre loi. De mon côté, jaloux de m’instruire dans le droit civil, je passais beaucoup de temps