Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome I.djvu/587

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leurs qualités opposées. C’est Thucydide assez étendu, Platon assez resserré pour une action publique. Et ici nous pouvons remarquer une des causes de la différence qui existe entre le style de Démosthène et celui de Cicéron. Si l’orateur romain aimait Platon, il professait aussi une haute estime pour Isocrate, dont il reproduit si heureusement les formes harmonieuses. Mais on conçoit que la lecture d’Isocrate devait entraîner dans une tout autre route que celle de Thucydide. Nous devons dire cependant que Cicéron n’a imité d’Isocrate que ce qu’il a de bon, et que malgré son admiration pour ce modèle, il s’est généralement garanti de ses nombreux défauts.

XXXII. De incestu. Rac. non castus. Ce mot ne signifie pas toujours ce que nous entendons par le mot français qui en est formé ; il se dit quelquefois, d’une manière plus générale, de tout crime contre la chasteté. Le commentateur Célius pense que le jugement dont il est ici question est celui des trois vestales, Émilia, Marcia et Licinia, accusées de s’être laissé séduire. Émilia seule fut condamnée par le collège des pontifes ; Licinia fut sauvée, sans doute par l’éloquence de son parent, l’orateur Crassus. Mais le peuple nomma une commission extraordinaire présidée par le Cassius dont nous avons parlé, note 49, qui cassa le jugement, et condamna Licinia et Marcia.

XXXIII. Utinam non tam fratri pietatem quam patriae praestare voluisset. Le père des Gracques était Tibérius Sempronius Gracchus, dont il est question ci-dessus, chap. 20. Leur aïeul était Scipion le premier Africain. Cicéron parle avec enthousiasme de C. Gracchus. On voit que son admiration pour lui était sincère et sans réserve, quoique d’ailleurs il condamnât sa conduite politique ; encore attribue-t-il ses égarements à un noble motif. Il est facile de s’apercevoir que malgré ses fautes, il le regrettait autant pour son caractère moral que pour son éloquence. Regrettons nous-mêmes de ne plus avoir aucun de ces discours que Cicéron trouvait si beaux. Ils nous offriraient sans doute les véritables modèles de cette éloquence de la tribune, qui régnait souverainement sur le peuple romain. Les fragments que nous en a conservés Aulu-Gelle, quoique malheureusement trop courts, sont cependant très dignes d’être lus. Ce même Gracchus n’était pas seulement un orateur éloquent, un ardent défenseur des droits du peuple ; c’était encore un très grand administrateur. Il fit conduire des colonies dans des villes ruinées, bâtir des greniers d’abondance à Rome, construire et paver de grands chemins dont Plutarque parle avec admiration ; il y fit poser des bornes milliaires ; il porta même l’attention jusqu’à mettre des deux côtés, à des distances assez rapprochées des pierres plus petites, pour aider les voyageurs à monter à cheval. Amyot, se récriant sur la beauté et l’utilité de ces travaux, qui devraient être imités par tout bon administrateur, ajoute avec une finesse naïve, bien digne d’un traducteur de Plutarque : « Mais les mesure et les chemins sont tellement rompus, qu’il faudrait beaucoup de Caïus, de temps et d’argent pour y mettre ordre. » Caïus Gracchus fut tué par le parti des nobles, à la tête duquel était le consul Opimius, l’an de Rome 632, douze ans après son frère Tibérius.

Rogatione Mammilia. Sur cette loi, voyez Salluste, Jug., chap. 40.

XXXIV. P. Scipio. Ce Scipion était fils de Scipion Nasica, meurtrier de Tib. Gracchus. Il fut consul en 642, avec Calpurnius Bestia, dont il est question un peu plus bas. Voy. Sall., Jug., 27.

P. Popillium. Popillius étant consul avait cruellement poursuivi les amis et les clients de Tibérius Gracchus. Caïus, pendant son tribunat, le fit exiler. (Voy. Plutarq., et Vell. Paterc., II, 7.) C. Galba, et les quatre consulaires, dont Cicéron parle ensuite, furent condamnés pour s’être laissé corrompre par Jugurtha. « Le consul Opimius (dit Plut., Vie des Gracques, trad. d’Amyot) n’ayant pu se garder d’être concussionnaire et larron, et s’étant laissé corrompre par l’argent du roi Jugurtha, fut condamné et finit sa vie dans l’opprobre et l’ignominie. » Opimius avait déjà été accusé en sortant du consulat par le tribun Décius, défendu par Carbon, qui, en devenant consul, avait abandonné le parti populaire, et absous par le peuple, qui peut-être n’était pas encore revenu de la terreur que lui avaient inspirée les redoutables vengeances du sénat. Peut-être aussi les grands profitèrent-ils, en cette occasion, de l’influence que leur donnait dans les comices par centuries la division du roi Servius Tullius.

XXXIV. Gracchiani judices. Les juges ou jurés, dont nous avons parlé dans la dernière note du chap. 27, furent pris d’abord parmi les sénateurs. C. Gracchus, en 630, attribua les jugements aux seuls chevaliers, qui n’étaient alors que les premiers d’entre le peuple. Cette loi, restée en vigueur après sa mort, balança longtemps le pouvoir exorbitant que la chute de ce tribun populaire avait donné à la noblesse. En 647, le consul Servilius Cépion proposa une loi qui partageait les fonctions de juges entre les sénateurs et les chevaliers. Mais si cette loi passa, elle fut bientôt abrogée, car en 662 elle fut proposée de nouveau par Livius Drusus, acceptée par le peuple, et abolie la même année avec tous les actes de ce tribun. Elle fut rétablie en 664 par le tribun Plautius Silvanus. Asconius dit qu’elle admit même les plébéiens au droit de juger. En 673, le dictateur Sylla rendit exclusivement ce droit aux sénateurs. En 683, le préteur L. Aurélies Cotta, secondé par Pompée, alors consul, le partagea entre les sénateurs, les chevaliers et les tribuns du trésor, qui en cela représentaient l’ordre des plébéiens. Telles sont les principales révolutions du pouvoir judiciaire pendant le septième siècle de la république. Les partis ne cessèrent de se disputer ce pouvoir, le plus important de tous, puisque de lui dépendent l’honneur, la fortune et la vie des citoyens, jusqu’au moment où il tomba, avec tous les autres, aux malus d’un seul homme. « Claude, dit Montesquieu, Gr. et Déc., chap. 15, acheva de perdre les anciens ordres en donnant à ses officiers le droit de rendre la justice. Les guerres de Marius et de Sylla ne se faisaient que pour savoir qui aurait ce droit des sénateurs ou des chevaliers ; une fantaisie d’un imbécile l'ôta aux uns et aux autres ; étrange succès d’une dispute qui avait mis en combustion tout l’univers. » Voyez en outre Tacite, Ann., XII, 60.

XXXV. T. Albucius. T. Albucius était passionné pour le grec, au point de renoncer à sa langue maternelle, et d’aimer mieux passer pour Grec que pour Romain. Le poète Lucilius raconte comment sa manie fut un jour tournée en ridicule. Scévola l’augure, allant à son gouvernement d’Asie, passait par Athènes, où était T. Albucius. Celui-ci étant venu lui rendre ses devoirs, Scévola le salua en grec ; tous ses officiers, tout son cortége, et jusqu’à ses licteurs en firent autant, en sorte qu’il n’entendait retentir autour de lui que ce mot χαῖρε : il fut piqué jusqu’au vif ; et comme toute ta philosophie des Grecs ne le rendait pas plus modéré, il en conçut un tel ressentiment, que quand Scévola fut de retour à Rome, il l’accusa de concussion, accusation qui tourna à la honte de son auteur. Voyez Cicéron, de Finib., I, 4.

Q. Catulus. Q. Lutatius Catulus fut consul avec Marius en 651. Il fut tué par la faction de Marius en 666. (Vell. Pat., II, 22.)

Q. Metellus Numidicus. Q. Métellus, consul en 664, dut son surnom de Numidicus à ses victoires sur Jugurtha. Il fut exilé par la faction de Saturninus, pour avoir