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Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome III.djvu/187

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dépourvu de sentiment que de raison, lorsque tous les gens de bien, cachés et renfermés, se désolaient, que les temples gémissaient, que les maisons mêmes de la ville se lamentaient, tu embrassais cette horrible créature, produit monstrueux du sang des citoyens, des plus abominables adultères, des crimes les plus affreux, de l’impunité de toutes les infamies ; et dans le même temple, au même instant et au même lieu où il venait de conclure ma perte, tu te faisais payer et mes funérailles et celles de la patrie.

[10] X. Parlerais-je des festins que tu donnas alors, de tes transports de joie, de tes effroyables orgies avec tes vils compagnons ? Qui te vit sobre pendant ces journées ? qui te vit rien faire qui fût digne d’un homme libre ? qui même te vit paraître en public ? La maison de ton collègue retentissait des chants de musique, du son des cymbales ; il dansait lui-même presque nu au milieu du repas, et, lorsqu’il faisait en tournant ses rapides évolutions, il ne songeait pas même alors à la roue de la Fortune, qui tourne sans cesse. Pour Pison, qui n’est pas aussi fin débauché ni aussi bon musicien, il se livrait avec ses Grecs aux plus grossiers excès d’intempérance et de crapule. Oui, au milieu du désastre de la république, il célébrait un repas semblable à celui des Lapithes et des Centaures : on ne saurait dire s’il y buvait plus de vin qu’il n’en répandait ou qu’il n’en vomissait. Et tu viendras encore parler de ton consulat ! tu oseras dire que tu étais consul à Rome ! Crois-tu donc que ce soient les licteurs et la robe prétexte qui fassent le consul, ces ornements que, sous ton consulat, tu as prostitués à un Sextus Clodius ? crois-tu que les vraies marques de la dignité consulaire soient celles qu’a portées ce vil esclave d’un furieux ? C’est par le cœur que l’on est consul, c’est par la prudence, par le zèle, par la gravité, par la vigilance et les soins, par l’attention à remplir constamment tous les devoirs de sa place, et surtout l’obligation qu’impose le nom même de consul, celle de consulter en toute chose le bien de la république. Sera-t-il à mes yeux consul, celui qui s’est imaginé que la république était sans sénat ? me figurerai-je un consul séparé de cet ordre sans lequel les rois mêmes n’ont pu exister à Rome ? Ne parlons point du reste : quoi ! on faisait des levées d’esclaves dans le forum ; en plein jour, et : à la vue de tout le monde, on portait des armes dans le temple de Castor ; ce temple, dont on avait fermé l’entrée, dont on avait arraché les degrés, était occupé par des gens armés, par des restes de la conjuration, par un homme qui feignit jadis d’être l’accusateur de Catilina, et qui alors en était le vengeur ; les chevaliers romains étaient exilés, les gens de bien, chassés du forum à coups de pierres ; il n’était pas permis au sénat de secourir la république, ni même de pleurer son désastre ; un citoyen que cet ordre, de l’aveu de l’Italie et de toutes les nations, avait déclaré le sauveur de la patrie, se voyait, sans aucune forme de justice, contre les lois et les usages, banni par une troupe d’esclaves et de gens armés, favorisés, sinon de votre concours, ce que j’aurais le droit de dire, au moins de votre silence : et l’on croira qu’alors il y ait eu des consuls à Rome ! Qui donc nommera-t-on voleurs,