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Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome III.djvu/195

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ressources, et forcé d’interrompre cet énorme et monstrueux édifice, s’est vendu au roi d’Égypte, a vendu au même roi ses faisceaux, l’armée du peuple romain, les oracles des dieux immortels, les réponses des prêtres, les décisions du sénat, la gloire et la dignité de l’empire. Les bornes de sa province étaient aussi reculées qu’il l’avait voulu, qu’il l’avait souhaité, qu’il l’avait obtenu au prix de ma tète et de mon sang : il ne put néanmoins s’y renfermer ; il fit sortir son armée de Syrie. Pouvait-il la transporter hors de sa province ? Il se mit à la solde et à la suite du roi d’Alexandrie. Quoi de plus honteux ? Il alla en Égypte, livra bataille aux Alexandrins. En quel temps le sénat ou le peuple avaient-ils entrepris cette guerre ? Il s’empara d’Alexandrie. Qu’attendons-nous de son extravagance, sinon qu’il écrive au sénat, qu’il lui mande de si brillants exploits ? S’il eût été maître de sa raison, si les dieux et la patrie ne se fussent pas vengés avec éclat, en lui souftlant la folie et la démence, eût-il osé (je lui passe encore d’être sorti de sa province), emmener son armée hors des frontières, faire la guerre de son propre mouvement, entrer dans un royaume sans l’ordre du sénat ni du peuple ? entreprises formellement défendues par une foule de lois anciennes, et surtout par les lois Cornélia et Julia, lois portées, l’une contre le crime de lèse-majesté, l’autre contre celui de concussion. Mais ces réflexions, je les supprime : je dis seulement que si Gabinius n’eût pas été attaqué d’une vraie folie, il n’eût point osé se charger d’une commission dont P. Lentulus, cet homme si dévoué à notre ordre, s’était démis sans hésiter ; par respect pour la religion, quoiqu’il la tînt et du sénat et du sort, et s’en charger lorsque, même sans aucun empêchement religieux, les usages et les exemples de nos ancêtres, et les plus rigoureuses peines portées par les lois, lui défendaient de l’accepter ?

[22] XXII. Mais, puisque nous avons commencé le parallèle de nos destinées, comparons, si tu veux, mon retour avec le tien. Je ne parlerai pas de celui de Gabinius ; il s’est ôté tout moyen de revenir : je l’attends toutefois, et suis curieux de voir son impudence. Voici donc quel a été mon retour. Depuis Brindes jusqu’à Rome, toute l’Italie forma mon cortége. Il n’y eut, dans aucun pays, ni municipe, ni préfecture, ni colonie d’où l’on n’envoyât au-devant de moi pour me féliciter. Que dirai-je de mon arrivée dans les villes, de la foule qui s’élançait au-devant de moi, du concours des pères de famille qui sortaient des campagnes avec leurs femmes et leurs enfants ? Que dirai-je de ces jours dont la joie de mon arrivée faisait comme des jours de fêtes célébrées en l’honneur des immortels ? Ce jour seul fut pour moi l’immortalité même, ce jour où je revins dans ma patrie, où je vis le sénat et tout le peuple romain venir à ma rencontre, où Rome entière, comme transportée hors de son enceinte, me parut s’avancer elle-même pour embrasser son libérateur. A cet accueil, il me sembla que non seulement tous les hommes et toutes les femmes de tous les états, de tous les âges, de tous les ordres, de toutes les fortunes, de tous les quartiers de Rome, mais encore les murailles mêmes, les maisons et les temples se réjouissaient de mon retour. Les jours suivants, les pontifes, les consuls, les sénateurs, me rétablirent dans la maison dont tu m’avais banni, que tu avais pillée, incendiée ; et, ce qui était inouï jusqu’à moi, on