Aller au contenu

Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome III.djvu/197

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

sance consulaire, que tu renversais la république, que tu livrais ma tète et ma vie, et que tu ne demandais en retour qu’une province, si tu ne désirais pas le triomphe, dis-nous enfin quel était l’objet de tes vœux effrénés. J’ai vu souvent que ceux qui me paraissaient, comme aux autres, désirer trop vivement une province, cachaient leur ambition sous le nom spécieux de triomphe. Ainsi parlait, il y a peu de temps, dans cet ordre même, le consul D. Silanus ; ainsi parlait mon collègue. Personne ne peut désirer une armée et la demander ouvertement, sans que le désir du triomphe ne lui serve de prétexte. Que si le sénat et le peuple romain, malgré ton indifférence ou mème tes refus, t’eussent forcé d’entreprendre une guerre, de commander une armée, il y aurait de la petitesse et de la bassesse d’esprit a mépriser l’honneur et l’éclat d’un juste triomphe. Oui, s’il y a de la légèreté à poursuivre le fantôme d’une vaine réputation, à courir après l’ombre d’une fausse gloire, c’est aussi la marque d’un esprit faible, qui fuit l’éclat et le grand jour, de rejeter une gloire légitime, cette récompense la plus honorable de la vraie vertu. Mais quand tu n’as obtenu ta province ni sur la demande, ni d’après les ordres du sénat ; quand tu l’as obtenue malgré le sénat et durant son oppression, et que, loin d’avoir pour toi le vœu du peuple romain, tu n’as pas eu même le suffrage d’un seul homme libre ; quand cette province t’a été donnée comme un salaire, sinon pour avoir renversé la république, du moins pour l’avoir trahie, et que la Macédoine, avec les bornes qu’il te plairait de choisir, devait être remise entre tes mains pour prix de tous tes crimes, à condition que tu livrerais ta patrie à d’infàmes brigands ; lorsque ensuite tu épuisais le trésor, que tu enlevais à l’Italie toute sa jeunesse, que tu traversais en hiver une mer dangereuse, si tu méprisais le triomphe, quelle était donc alors ta passion, misérable corsaire, sinon le désir aveugle du butin et des rapines ? Il n’est plus au pouvoir de Cn. Pompée de suivre tes principes ; il s’est mépris ; il n’avait pas bu aux sources de ta philosophie. L’insensé ! il a déjà triomphé trois fois. J’en rougis pour vous, Crassus : pourquoi, après avoir terminé une guerre formidable, avez-vous demandé au sénat, avec tant d’instances, la couronne de laurier ? Et vous, P. Servilius, Q. Métellus, C. Curion, que n’avez-vous entendu les leçons de ce docte maître avant de tomber dans l’erreur qui vous a séduits ? Pour mon ami C. Pomtinius, le temps en est passé ; les vœux qu’il a faits l’enchaînent. Qu’ils étaient déraisonnables les Camille, les Curius, les Fabricius ; les Calatinus, les Scipion, les Marcellus, les Maximus ! que Paul Emile était extravagant, et Marius grossier ! que les pères de nos deux consuls étaient dépourvus de jugement, eux qui ont triomphé !

[25] XXV. Mais comme nous ne pouvons changer le passé, que cet avorton, que cet épicurien d’argile et de boue, ne donne-t-il ses beaux préceptes de sagesse à un de nos généraux les plus illustres, à son gendre ? Cet homme, crois-moi, se laisse emporter à l’amour de la gloire ; il est enflammé, il brûle du désir d’un triomphe magnifique et mérité ; il n’a point suivi la même école que toi : envoies-lui un traité ; ou plutôt, si tu peux avoir avec lui quelque entretien, cherche, dès à présent, des paroles capables d’éteindre