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Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome III.djvu/202

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si tu ne venais à mon aide. Oui, lorsque, timide et tremblant, tu as jeté par terre, à la porte Esquiline, les lauriers que tu avais arrachés avec tes mains rapaces de tes faisceaux ensanglantés, tu as montré alors que le laurier cédait non seulement à la gloire la plus éclatante, mais à la plus modeste. Tu veux faire entendre, misérable, que ce vers m’a fait de Pompée un ennemi ; tu veux, si ce vers a pu me nuire, faire croire que ma perte est venue de l’homme qui s’en était offensé. Je ne dirai pas que ce vers ne le regarde nullement ; que je n’étais point capable de choquer par une seule ligne celui que je m’étais efforcé de louer dans un si grand nombre d’écrits et de discours. Mais je veux qu’il en ait été offensé : d’abord ne me pardonnerait-il pas une seule ligne en faveur de tant de volumes que j’ai composés à sa louange ? ensuite, s’il était blessé, l’était-il jusqu’à vouloir la ruine, je ne dis pas d’un intime ami, d’un homme qui avait si bien travaillé pour sa gloire et pour celle de la république, d’un consulaire, d’un sénateur, d’un citoyen, d’un homme libre : eût-il poussé la cruauté jusqu’à vouloir perdre, pour un seul vers, même le dernier des hommes ?

[31] XXXI. Penses-tu à ce que tu dis ? vois-tu devant qui et de qui tu parles ? Tu enveloppes dans ton crime et dans celui de Gabinius les plus illustres citoyens, et tu le fais ouvertement. J’attaque, as-tu dit de moi naguère, ceux que je méprise ; je ne touche pas à ceux qui sont plus puissants que moi, et à qui je dois en vouloir. Quoique la conduite de tous n’ait pas été la même (car qui ne voit de qui tu veux parler ?), je n’ai pourtant à me plaindre d’aucun d’eux. Pompée, malgré tous ceux qui traversaient son affection pour moi, m’a toujours chéri, m’a toujours jugé digne de son amitié, a toujours désiré que je ne fusse atteint d’aucune disgrâce, et même que je fusse comblé de distinctions et d’honneurs. Ce sont vos intrigues, ce sont vos crimes, ce sont vos calomnies odieuses, par lesquelles vous lui faisiez entendre que j’en voulais à ses jours, que sa vie était en péril ; ce sont les dénonciations de ces perfides, empressés, d’après vos conseils, à profiter d’une intime liaison pour assiéger ses oreilles de leurs impostures ; enfin c’est votre impatience d’obtenir des provinces, qui nous a empêchés de le joindre et de conférer avec lui, moi et tous ceux qui étaient jaloux de sa gloire et du salut de la république. Qu’est-il arrivé de là ? Il ne lui était pas libre de suivre son propre sentiment, certains hommes ayant au moins ralenti son ardeur à me secourir, s’ils n’ont pu le détacher entièrement de moi. L. Lentulus, qui était alors préteur ; Q. Sanga, L. Torquatus le père, M. Lucullus, ne sont-ils pas venus te trouver ? Tous ces citoyens et beaucoup d’autres s’étaient rendus chez Pompée, à sa maison d’Albe, pour le prier et le conjurer de ne pas abandonner mes intérêts, qui se trouvaient liés à ceux de l’État. Il vous les renvoya, à ton collègue et à toi, pour vous engager à prendre la défense de la cause publique, et à faire votre rapport au sénat. Il ne voulait pas, disait-il, combattre contre un tribun armé sans être soutenu par cet ordre ; mais si les consuls, autorisés d’un décret du sénat, défendaient la république, il prendrait les armes sans balancer. Ne te rappelles-tu pas, misérable, ce que tu répondis alors ? Tous en général, et surtout Tor-