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Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome III.djvu/203

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quatus, étaient furieux de l’insolence de ta réponse. Tu n’étais pas, disais-tu, aussi ferme que l’avait été Torquatus dans son consulat, aussi ferme que je l’avais été moi-même ; il n’était pas besoin d’armes et de combats ; je pouvais, en cédant, sauver de nouveau la république ; la résistance entraînerait un carnage horrible ; enfin, et toi, et ton gendre, et ton collègue, vous étiez résolus à soutenir le tribun du peuple. Et tu diras encore, ennemi de l’État, traître à la patrie, que je dois en vouloir à d’autres qu’à toi !

[32] XXXII. Quant à César, il n’a pas toujours eu les mêmes opinions que moi, je le sais ; mais enfin, et je l’ai dit souvent en présence de ceux qui m’écoutent, il désirait m’associer aux travaux de son consulat et aux honneurs qu’il partageait entre ses meilleurs amis ; il m’a offert ces honneurs, il m’a prié, il m’a pressé : je ne me suis pas rendu à ses désirs, peut-être par trop d’attachement à mes principes. Je ne souhaitais pas de devenir cher à un homme dont les bienfaits même n’avaient pu m’engager à trahir pour lui mes sentiments. On croyait que, dans l’année de ton consulat, il serait décidé si les actes de Cesar de l’année précédente seraient confirmés ou abolis. Que dirai-je de plus ? S’il a cru que j’avais seul assez de force et de pouvoir pour faire infirmer ses actes par ma résistance, pourquoi ne lui pardonnerais-je pas d’avoir préféré ses intérêts aux miens ? Mais laissons là le passé. Dès que Pompée eut embrassé ma défense avec toute la chaleur dont il était capable, sans épargner ni travaux ni périls ; lorsqu’il parcourait pour moi les villes municipales, qu’il implorait la protection de l’Italie, qu’il restait sans cesse auprès du consul Lentulus, le principal auteur de mon rétablissement ; qu’il inspirait les avis du sénat ; lorsque devant tout le peuple il s’annonçait non seulement pour mon défenseur, mais encore pour suppliant dans ma cause, il associa à son zèle et à ses projets César, qu’il savait être puissant par son crédit, et sans haine contre moi. Tu le vois, Pison, je dois être ton ennemi, un ennemi déclaré ; et loin d’être irrité contre ceux que tu désignes, je dois être leur ami. L’un, je m’en souviendrai toujours, m’a aimé comme lui-même ; l’autre, je pourrai l’oublier, s’est plus aimé que moi. Ensuite, quoique de braves guerriers se soient mesurés de près, on les voit, dès que le combat est fini, déposer la haine avec les armes. Mais César n’a pu me haïr, non pas même lorsque nous étions divisés de sentiments. C’est le propre de la vertu, dont tu ne connais pas seulement l’ombre, de plaire aux grandes âmes, par sa beauté et par son éclat, jusque dans la personne d’un ennemi.

[33] XXXIII. Pour moi, je dirai sincèrement, pères conscrits, ce que je pense et ce que vous m’avez déjà entendu dire plus d’une fois:César n’eût-il jamais été mon ami, eût-il toujours été mon ennemi, fût-il disposé à rejeter mon amitié, à me garder une haine implacable, une haine éternelle, cependant, après les grandes choses qu’il a faites et qu’il fait tous les jours, pourrais-je m’empêcher d’être son ami ? Depuis qu’il commande nos armées, ce n’est ni la hauteur des Alpes que j’oppose à l’invasion et au passage des Gaulois, ni les gouffres du Rhin, ce fleuve si profond et si rapide, aux nations les plus féroces de la Germanie. Oui, dussent les montagnes s’aplanir,