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Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome III.djvu/438

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CICÉRON.

Grecs nomment ποιότητας ; expression, qui, chez les Grecs eux-mêmes, ne fait pas partie du langage ordinaire, mais appartient à la langue philosophique, ainsi que beaucoup d’autres du même genre. Aucun des termes de la dialectique n’appartient au domaine public ; elle a sa langue à part : c’est là d’ailleurs la condition dans laquelle se trouvent presque toutes les sciences. Car il faut bien pour exprimer des choses nouvelles, créer des mots nouveaux, ou mettre à contribution les langues étrangères. Et si les Grecs usent encore de cette licence, eux qui depuis tant de siècles sont versés dans ce genre d’études, à plus forte raison devons-nous en jouir, nous qui nous y essayons pour la première fois. — Selon moi, Varron, lui dis-je, vous rendrez encore de grands services à vos concitoyens si, après les avoir enrichis de tant de connaissances, vous les enrichissez aussi d’expressions nouvelles. — Nous oserons suivre vos conseils, me répondit-il, et créer, s’il le faut, des mots nouveaux. De ces qualités donc les unes sont primordiales, et les autres sortent des premières. Les primordiales sont uniformes et simples. Leurs dérivées, au contraire, sont variées, et revêtent mille formes diverses. Ainsi l’air (on peut recevoir ce mot dans notre langue), le feu, l’eau et la terre, sont les qualités primitives ; de ces qualités sont sorties les espèces animales et toutes celles que la terre engendre. Tels sont les principes, et, suivant la force du grec, les éléments des choses ; parmi ces éléments, l’air et le feu ont une puissance motrice et efficiente ; les deux autres, à savoir l’eau et la terre, ont la capacité d’être modifiés, et en quelque façon de pâtir. Aristote admettait un cinquième élément tout particulier, distinct de ceux que j’ai nommés, et dont étaient faits les astres et les esprits. Mais nos philosophes pensent que tous les êtres ont au fond de leur substance une même matière qui n’a aucune forme, est dépouillée de toute qualité (l’emploi fréquent de cette expression la rendra moins étrange et d’un usage plus commode), mais avec laquelle tout est composé et formé, qui peut recevoir toutes les déterminations, subir tous les changements et dans toutes ses parties, et par là même périr, non par anéantissement, mais par le retour à ses propres éléments, que l’on peut couper et diviser à l’infini ; car il n’est pas de si petite particule dans la nature qu’on ne puisse encore diviser : et d’ailleurs tout ce qui se meut, se meut dans l’espace, dont les parties peuvent aussi se diviser à l’infini. La force, que nous avons appelée qualité, se meut, se répand de tous côtés sur la matière, qu’elle pénètre, transforme tout entière, et d’où elle tire ces êtres déterminés et caractérisés, dont la réunion par toute la nature où tout se joint, et ou la continuité n’est jamais rompue, compose le monde, en dehors duquel il n’y a plus ni matière ni corps. Les parties du monde sont tout ce qu’il renferme, et qui est contenu par une nature animée, douée d’une raison parfaite et qui vit éternellement ; car il n’est rien de plus puissant qui puisse la faire périr. C’est cette force vivante qu’ils nomment l’âme du monde, et qu’ils appellent aussi un esprit et une sagesse parfaite ; c’est leur dieu, et en quelque façon la providence du monde entier, qui lui est soumis ; providence qui gouverne surtout les corps célestes, et sur cette terre les choses humaines : tantôt ils la nomment nécessité, parce