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Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome III.djvu/439

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SECONDES ACADÉMIQUES.

que rien ne peut se faire autrement qu’il n’a été réglé par elle, et que ne le demande la suite immuable et fatale de l’ordre éternel ; quelquefois ils la nomment fortune, parce qu’elle fait naître beaucoup d’événements imprévus, et que nous ne pouvions soupçonner, attendu notre ignorance des causes et leur obscurité.

VIII. Quant à la troisième partie de la philosophie, qui a pour objet l’intelligence et ses opérations, voici la doctrine commune aux deux écoles. Quoique l’esprit débute par la sensation, on n’accorde point aux sens le droit de juger de la vérité. La raison est l’unique juge des choses. Seule, elle mérite que l’on se fie à elle, parce qu’elle voit seule ce qui est toujours simple et uniforme, et le voit tel qu’il est. C’est cet objet de la raison qu’ils nommaient, et que Platon avant eux avait nommé idée, ce que nous pouvons assez bien exprimer par le mot espèce. Ils pensaient que tous les sens sont des instruments grossiers et lents, qu’ils ne peuvent en aucune manière percevoir même les objets qui semblent tomber sous leur prise ; car ces objets sont ou si petits qu’ils échappent à nos sens, ou si mobiles et agités, qu’aucun d’eux ne garde un seul instant de fixité, qu’aucun même ne conserve d’identité, parce que tout est dans une décomposition et un flux continuels. C’est pourquoi ils appelaient toute cette partie des choses la région des opinions. Ils n’admettaient pas que la science pût se trouver ailleurs que dans les notions et les raisonnements de l’esprit ; et en conséquence, ils établissaient des définitions et les faisaient intervenir dans tous les sujets soumis à leurs discussions. Ils donnaient aussi une explication raisonnée des mots, en montrant les causes diverses de leur acception ; c’est ce qu’ils appelaient étymologie. S’étant fait par ce travail comme des marques précises des choses, ils arrivaient, par leur secours et celui des arguments, à prouver et démontrer ce qu’ils voulaient établir ; c’est ici qu’étaient expliquées toutes les règles de la dialectique, qui est l’art du discours terminé par une conclusion logique. En regard de la dialectique, on plaçait l’art oratoire, qui donne les règles du discours développé et disposé pour produire la persuasion. Voilà la philosophie telle qu’ils la reçurent d’abord des mains de Platon ; je vous exposerai, si vous le voulez, d’après Antiochus, les vicissitudes qu’elle a subies. — Nous le voulons sans doute, lui dis-je ; car je puis répondre pour Atticus comme pour moi.

IX. Et vous avez raison, reprit Varron. Antiochus nous fait en effet une histoire fort intéressante des doctrines des péripatéticiens et de l’ancienne Académie. Aristote le premier porta une grave atteinte à la théorie des espèces, dont je parlais il y a un instant, et que Platon avait embrassée avec tant d’ardeur, qu’il déclarait voir dans les idées quelque chose de divin. Théophraste, homme d’une douce éloquence, et de mœurs si pures, qu’il s’exhale de ses écrits comme un parfum de probité et de candeur, ébranla plus fortement encore l’autorité de l’ancienne doctrine ; car il dépouilla la vertu de ses beaux priviléges, et l’énerva en soutenant qu’elle ne pouvait suffire pour le bonheur. Quant à Straton, son disciple, malgré la pénétration de son esprit, on ne peut l’admettre dans les rangs de cette école ; il négligea la partie la plus essentielle de la philosophie, celle qui a pour objet la vertu et les mœurs ; et se