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Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome III.djvu/440

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CICÉRON.

tournant tout entier vers l’étude de la nature, il s’écarta, même ici, en beaucoup de points, des opinions du Lycée. Speusippe et Xénocrate, au contraire, qui les premiers avaient continué l’enseignement de Platon et reçu l’héritage de sa doctrine ; et après eux Polémon, Cratès et Crantor, réunis dans l’Académie, conservèrent avec un soin religieux le dépôt qui leur fut successivement transmis. Zénon et Arcésilas avaient suivi assidument les leçons de Polémon. Mais Zénon, plus âgé qu’Arcésilas, et qui avait une subtilité d’esprit et une finesse de dialectique peu communes, entreprit de réformer la philosophie. Si vous le voulez, je vous expliquerai cette réforme, comme le faisait Antiochus. — C’est tout à fait mon désir, lui dis-je, et vous voyez que Pomponius le manifeste comme moi.

X. Zénon n’était pas homme à briser, comme Théophraste, les ressorts de la vertu, mais à mettre au contraire tous les éléments du bonheur dans la vertu seule, en refusant à tout ce qui n’est pas elle le titre de biens ; ce bien simple, unique, sans partage, est ce qu’il appelait l’honnête. Quoique toutes choses en dehors de la vertu pe méritassent le titre ni de biens ni de maux, il avouait cependant que les unes étaient conformes et les autres contraires à la nature ; entre les deux, il en admettait d’intermédiaires et de neutres. Il enseignait que celles qui sont conformes à la nature pouvaient être recueillies, et qu’on en devait faire une certaine estime ; des opposées, le contraire : quant aux intermédiaires, il les laissait entre deux : on devait, selon lui, y être parfaitement indifférent. Dans la première classe, il distinguait des choses plus dignes d’estime les unes que les autres ; celles qui en méritaient le plus, il les nommait préférées ; les autres, rejetées. Dans tout ceci, comme on peut le voir, ce n’est pas tant les choses que les noms qu’il avait changés ; c’est ainsi encore qu’entre l’accomplissement du bien et la faute, il plaçait, comme de certains intermédiaires, l’observation ou la négligence des devoirs. Il mettait l’accomplissement du bien dans les seules bonnes actions ; le mal, dans les mauvaises ; et il pensait qu’entre ces extrêmes, observer les devoirs ou y manquer, formaient comme des degrés moyens. Les anciennes écoles disaient que toutes les vertus ne sont pas le fruit de la raison, mais qu’il y en a de naturelles et d’autres acquises par l’habitude ; Zénon les ramène toutes à l’exercice de la raison : elles pensaient que les diverses sortes de vertus dont nous avons parlé plus haut peuvent se rencontrer les unes sans les autres ; il démontrait que, d’aucune manière, il ne peut en être ainsi ; il soutenait que la beauté morale n’est pas seulement dans la pratique de la vertu, mais dans l’état même de l’âme vertueuse, quoiqu’il fût impossible d’avoir la vertu sans en faire un continuel usage. Elles ne proscrivaient pas toutes les émotions de l’âme ; car elles disaient que le chagrin, les désirs, la crainte et la joie nous sont inspirés par la nature ; mais elles les restreignaient et leur laissaient le moins de jeu possible : Zénon les regarde comme des maladies, et veut que le sage n’en soit jamais atteint. Considérant ces émotions comme naturelles et irraisonnables, les anciens en plaçaient le siége dans une partie de l’âme et mettaient la raison dans une autre ; Zénon pensait tout différemment ; selon lui, les émotions sont volontaires ; elles nais-