Page:Cicéron - Œuvres complètes, Nisard, 1864, tome III.djvu/666

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
658
CICÉRON.

de Phalaris, un sage dira : Que ceci est agréable ! que j’en suis peu ému ! Agréable ! Trouver cela indifférent, ce serait donc trop peu ? Mais ceux mêmes qui nient que la douleur soit un mal, ne vont point jusqu’à dire que, d’être à la torture, ce soit quelque chose d’agréable. Ils disent que cela est fâcheux ; que cela est sensible ; que la nature y répugne ; mais non pas que ce soit un mal. Et lui, dans la persuasion où il est que la douleur n’est pas seulement un mal, mais le plus grand des maux, il ne laisse pas de vouloir qu’un sage la trouve agréable. Je n’en exige pas tant de vous. Laissons ce voluptueux tenir, dans le taureau de Phalaris, le langage qu’il tiendrait dans un lit mollet. Pour moi, je ne crois point la sagesse capable d’un si grand effort. C’est remplir son devoir, que de marquer du courage en pareil cas. Mais de la joie, n’allons pas si loin. Car la douleur est assurément quelque chose d’incommode, d’affligeant, de triste, d’odieux à la nature, de pénible à souffrir, à endurer. Jugez-en par Philoctète. On peut bien lui pardonner de gémir, puisqu’il avait eu devant les yeux l’exemple d’Hercule même, qui, dans l’excès de ses douleurs, poussait de hauts cris sur le mot Œta. Philoctète donc, héritier des flèches d’Hercule, ne trouve pas ce présent d’une grande ressource,

Quand le poison malin, qui pénètre mes veines,
Me livre sans relâche à de cruelles peines,

dit-il ; et appelant au secours, désirant la mort, il ajoute :

Qui de vous à mes cris se laissera toucher ?
Qui, me précipitant du haut de ce rocher,
Me fera dans les flots éteindre ce bitume,
Ce venin, dont le feu jusqu’aux os me consume ?

Puisque la douleur arrache de semblables cris, il est difficile de ne pas dire qu’elle est un mal, et un grand mal.

VIII. Voyons Hercule lui-même, qui, dans un temps ou la mort le conduisait a l’immortalité, fut vaincu par la douleur. Quand Déjanire lui eut fait mettre cette robe teinte du sang d’un Centaure, et qu’il en sentit l’impression au dedans de ses entrailles, a quelles plaintes ne se laissait-il pas aller, si l’on en croit Sophocle ?


Oui, les plus durs combats, les assauts les plus forts,
Les plus cruels travaux de l’esprit et du corps,
De Junon contre moi la fureur irritée,
Les ordres foudroyants du barbare Eurysthée,
Tous ces maux ont été moins funestes pour moi,
Que n’est d’une robe empestée
Le fatal et sinistre envoi.
Il en sort un poison, une brûlante cire,
Qui s’attache à mon corps, le suce, le déchire.
Mais, ù destin trop outrageant !
Ksl-te pour mon honneur, à l’inhumaine lance
Ou d’un centaure, ou d’un géant,
Que je puis imputer l’excès de ma souffrance ?
Sont-ce tous les Grecs assemblés.
Qui me font k leur tour éprouver leur vengeance ?
Sunt-ce ces peuples reculés,
Où par des efforts trop zélés
J’ai tâché de porter les mœurs et la science ?
Ma défaite, opprobre éternel !
De la main d’une femme est le perfide ouvrage.
O mon fils, mon vrai fils ! si l’amour paternel
Aujourd’hui sur le maternel
Dans ton cœur, comme il doit, remporte l’avantage ;
Va, cours, j’attends ici ta niére à mes genoux.
Que ton bras l’abandonne à mon juste courroux.
Ose te taire oir digne fils de ton père.
Au seul récit de mes douleurs.
Un jour le monde entier, du tribut de ses pleurs
Honorera notre misère.
Quelle horreur, dira-t-on, a contraint de gémir,
Ainsi qu’une femme timide,