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CICÉRON.

Par ses cris redoublés, par ses gémissements,
Répandait dans les airs l’horreur de ses tourments.

Je ne nie pas que la douleur ne soit douleur. À quoi, sans cela, nous servirait le courage ? Mais je dis que la patience, si c’est quelque chose de réel, doit nous mettre au-dessus de la douleur. Ou si c’est quelque chose d’imaginaire, à quel propos vanter la philosophie, et nous glorifier d’être ses disciples ? Voilà que la douleur vous pique ? hé bien, je veux qu’elle vous déchire. Prêtez le flanc, si vous êtes sans défense. Mais si vous êtes revêtu d’une lionne armure, c’est-à-dire, si vous avez du courage, résistez. Autrement le courage vous abandonnera : et avec lui, votre honneur, dont il était le gardien. Par les loix de Lycurgue, et par celles que Jupiter a données aux Crétois, ou que Minos a reçues de ce Dieu, comme le disent les poëtes, il est ordonné qu’on endurcisse la jeunesse au travail, en l’exerçant à la chasse et à la course, en lui faisant souffrir la faim, la soif, le chaud, le froid. A Sparte on fouette les enfants au pied de l’autel, jusqu’à effusion de sang : quelquefois même, à ce qu’on m’a dit sur les licu<, il y en a qui expirent sous les coups : et cela, sans que pas un d’eux ait jamais laissé échapper, je ne dis pas un cri, mais un simple gémissement. Voilà ce que des enfants peuvent : et des hommes ne le pourront pas ? Voilà ce que fait la coutume : et la raison n’en aura pas la force ?

XV. Travail et Douleur ne sont pas précisément la même chose, quoiqu’ils se ressemblent assez. Travail signifie fonction pénible, soit de l’esprit, soit du corps : Douleur, mouvement incommode, qui se fait dans le corps, et qui est contraire au sens. Quand on coupait les varices à Marius, c’était douleur : quand il conduisait des troupes par un grand chaud, c’était travail. Mais l’un approche de l’autre, eu- l’habitude au travail nous donne de la facilité à supporter la douleur. Et c’est dans cette vue que ceux qui formèrent les républiques de la Grèce, voulurent qu’il y eût de violents exercices pour les jeunes gens. On y oblige a Sparte les femmes même, qui partout ailleurs sont élevées avec une extrême délicatesse, et, pour ainsi dire, a l’ombre.

Mais à Sparte on les voit, dès l’avril de leurs ans,
Braver les injures du temps,
Et chercher dans les jeux une noble poussière.
On leur voit dédaigner la laine, le fuseau,
Et faire leur art le plus beau De la lutte et de la carrière.

Quelquefois, dans ces rudes exercices, la douleur accompagne le travail. On s’y entre-choque, on s’y frappe ; on s’y terrasse, on y fait des chutes : et par le travail même il se forme une espèce de calus, qui fait qu’on ne sent point la douleur.

XVI. Parlerai-je de nos armées ? Quel travail pour un soldat, lorsqu’il marche, de porter des vivres pour plus de quinze jours ; et de porter outre cela son bagage et un pieu ? À l’égard du casque, du bouclier, et de l’épée, il ne les compte non plus pour un fardeau, que ses épaules, ses bras, ses mains. Un langage usité parmi les soldats, c’est que leurs armes sont leurs membres : et eu effet, si l’occasion se présente, ils mettent bas le reste de leur fardeau, et se servent aussi lestement de leurs armes, que si elles faisaient