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TUSCULANES, LIV. II.

XXII. Venons au sage. On n’en a point encore vu de parfait : mais les philosophies nous donnent l’idée de ce qu’il doit être, supposé qu’il y en ait jamais quelqu’un. Un sage donc, ou plutôt sa raison, parvenue au plus haut degré de perfection, saura commander à la partie inférieure, comme un bon père à de bons enfants. Tout ce qu’il voudra, il l’obtiendra d’un coup d’œil, sans peine, sans chagrin. Pour faire tête à la douleur, comme à un ennemi, il réveillera son courage, rassemblera ses forces, prendra ses armes. Quelles armes ? Un généreux effort, une ferme résolution, et un entretien avec soi-même, ou l’on se dit : Prends bien garde, ne fais rien de honteux, rien de lâche, rien d’efféminé. On se proposera de grands exemples. Zénon d’Elée, qui, ayant trempé dans une conspiration, aima mieux souffrir toutes sortes de tortures, que de nommer ses complices au tyran. Anaxarque, disciple de Démocrite, qui, se voyant dans l’île de Cypre au pouvoir du roi Nicocréon, ne lui montra, ni effroi, ni répugnance pour aucun genre de supplices Un homme sans lettres, un barbare né au pied du mont Caucase, l’indien Calanus, qui de son propre mouvement se lit brûler vif. Mais nous, que nous souffrions partout le corps, on même rien qu’à un pied, à une dent, nous ne savons plus où nous en sommes. Par la douleur, comme par le plaisir, nos âmes sont amollies : elles se liquéfient, si j’ose ainsi parler : et nous devenons efféminés à un tel point, qu’il ne faut qu’une piqûre d’abeille pour nous arracher des cris Quand Marins, homme rustique, mais vraiment homme, souffrit l’opération, dont j’ai parlé, il ne vouhft point qu’on le liât : et il est, dit-on, le premier qui l’ait hasardée sans cette précaution. Pourquoi d’autres depuis n’en ont-ils pas fait difficulté ? parce que l’exemple les avait enhardis. Ainsi l’opinion, comme vous voyez, a plus de part dans nos souffrances, que la réalité. Une preuve cependant que la douleur de Marins fut aiguë, c’est qu’il ne donna point son autre jambe. Pour une première opération, le courage l’avait emporté : mais ensuite la sensibilité usa de ses droits. Tout consiste donc à savoir vous commander : et je vous ai expliqué ce que c’était que cette espèce de commandement. Penser a quoi la patience, à quoi la force, à quoi la grandeur d’âme nous obligent, non-seulement c’est nous rendre l’esprit plus tranquille, mais c’est affaiblir en quelque sorte la douleur.

XXIII. Car, comme dans une bataille il arrive qu’un poltron, qui, à la vue de l’ennemi, aura jeté son bouclier, et fui de toutes ses forces, trouve dans sa fuite même, l’occasion de sa mort ; et qu’au contraire le soldat intrépide qui n’aura point quitté son poste, sort de là sain et sauf ; de même un malade qui s’écoute, tombe dans l’anéantissement, tandis que ceux qui entreprennent de résister à la douleur, ne manquent guère d’en triompher. À certains égards, il en est de l’âme comme du corps. Que le corps s’évertue, il portera aisément une charge, sous laquelle, s’il vient à mollir, il succombe. Que l’âme se roidisse pareillement, elle rendra son fardeau léger. Qu’elle se relâche, elle demeure aeeablie dessous. Parlons vrai, il n’est aucun de nos devoirs qui n’exige qu’on ait la force de prendre sur soi. Rien sans cela ne peut répondre de notre fidélité à les remplir. Un homme qui souffre, doit