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CICÉRON.

surtout marquer du courage, et ne se rien permettre qui sente la bassesse d’un esclave, ou la délicatesse d’une femme. Qu’il se garde bien d’imiter les doléances de IMiiloetete. Quelquefois, mais rarement, il sera permis à un homme de ^émir ; pas même à une femme de hurler : espèce de lamentation, dont les douze Tables ont défendu l’usage dans les funérailles. Que si Ton permet quelquefois a un homme courageux de gémir, c’est dans le cas seulement ou ce lui serait un moyen d’acquérir de nouvelles forces : à l’exemple des athlètes, qui poussent de grands cris en se battant à coups de ccstes ; non ([ue la douleur ou la crainte leur arrache ces sortes de gémissements ; mais c’est qu’en poussant un cri, tous les nerfs se tendent, et le coup est porté avec plus de vigueur.

XXIV. Pour crier, on ne se contente pas de faire jouer les organes destinés à la parole, tels que les eûtes, le gosier, la langue : mais tout le corps agit J’ai vu Antoine frapper la terre de son genou, par la véhémence avec laquelle il plaidait dans une certaine occasion. Plus l’arc est bandé, plus la flèche est impétueusement dardée. Ainsi, lorsqu’un cri peut servir à réveiller, à redoubler les forces de l’âme, on ne le défend pas a un malade. Mais pousser des cris accompagnés de pleurs, c’est ne pas mériter le nom d’homme. Quand il nous en reviendrait quelque soulagement, encore faudrait-il voir si l’honneur ne s’y opposerait pas. Mais pourquoi nous avilir eu pure perte ? Qu’y a-t-il, en effet, de plus honteux pour un homme, que de pleurer comme une femme ? Je viens de vous donner, touchant la douleur, une leçon importante, qui est d’appeler les forces de l’âme au secours. On en a besoin dans toute sorte d’occasions. Que la colère s’allume en nous, que la volupté nous attaque, il faut recourir aux mêmes armes, se réfugier dans le même fort. Mais pour ne point nous écarter, ne parlons que de la douleur. Pour souffrir donc paisiblement, il est bon d’avoir toujours ce principe devant les yeux, que c’est là ce que l’honneur exige de nous. J’ai déjà dit, mais on ne peut trop le répéter, que l’honneur a naturellement pour nous de puissants attraits, et si puissants, qu’il la première lueur, au travers de laquelle il se fera entrevoir, on trouve doux et léger tout ce qui peut y conduire. Poussés, entraînés par ces désirs violents, dont la gloire embrase nos cœurs, nous allons la chercher dans les combats. Un homme courageux, lorsqu’il est blessé dans la mêlée, ne le sent point : ou s’il le sent, plutôt mourir que de faire une brèche à son honneur. Quand les Décies se jetèrent à corps perdu dans l’armée ennemie, ils voyaient luire des épées prêtes à les percer : mais l’idée d’une noble, d’une glorieuse mort leur faisait mépriser les coups. Pensez-vous qu’Epaminondas, au moment qu’il vit sa vie s’écouler avec son sang, ait gémi ? Il avait trouvé sa patrie accablée sous le joug des Lacédémoniens : en mourant il la laissait leur maîtresse, et c’était son ouvrage. Point de souffrance qui ne soit adoucie par de tels lénitifs.

XXV. Mais hors des batailles, me direz-vous, et chez soi, dans un lit, quels motifs de consolation ? Vous me ramenez aux philosophes.