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CICÉRON.

quoi que ce puisse être dans le monde, qui vous maîtrise. Regardez donc une âme qui s’est agrandie, qui s’est élevée jusqu’au plus haut, point, et dont la supériorité brille surtout dans le mépris de la douleur, regardez-la comme l’objet le plus digne d’admiration. Je l’en croirai bien plus digne encore, si, loin des spectateurs, et ne mendiant point d’applaudissements, elle ne veut que se plaire a elle-même. Rien de si louable que ce qui se fait sans ostentation, et sans témoins : non que les yeux du public soient à éviter, car les belles actions demandent à être connues : mais enfin, le plus grand théâtre qu’il y ait pour la vertu, c’est la conscience.

XXVII. Ressouvenons-nous surtout, que notre patience, soutenue, comme je l’ai dit tant de fois, par de continuels efforts de l’âme, doit être la même dans toutes les occasions qu’elle peut avoir de s’exercer. Car souvent il arrive qu’on a montré de la fermeté, ou en attaquant l’ennemi, pour se faire un nom, ou simplement pour se défendre ; mais que dans une maladie, ces gens-là.succombent. Ils avaient dû leur fermeté, non à la raison et à la sagesse ; mais a l’ardeur, et à la gloire qui les guidaient. Ainsi les barbares savent, le fer a la main, se battre à outrance ; et malades, ils ne savent pas être hommes. Au contraire, les Grecs, nation peu brave, mais aussi sensée qu’il y en ait, n’osent regarder l’ennemi en face : et malades, ils ont de la patience et du courage. Une bataille transporte de joie les Cimbres, et les Celtibériens : une maladie les consterne. Pour avoir une conduite uniforme, il fauchait partir d’un principe. Mais du moins, puisqu’on voit des hommes, à qui la passion ou le préjugé fait braver la douleur, concluez de là, ou qu’elle n’est pas un mal, ou que si l’on veut l’appeler un mal, parce qu’elle n’accommode pas la nature, c’est un mal si petit, qu’il disparaît à l’aspect de la vertu, jour et nuit, je vous en prie, occupez-vous de ces réflexions. Il y a bien d’autres conséquences à en tirer. Car, si nous faisons de l’honneur notre unique loi, dès lors nous mépriserons, non-seulement les traits de la douleur, mais les foudres mêmes de la fortune : surtout puisque notre conférence d’hier nous montre un refuge, qui ne peut nous manquer. Un passager, poursuivi par des pirates, serait bientôt rassuré, si un Dieu lui disait : « Jette-toi dans la mer ; un dauphin, comme celui d’Arion, est alerte pour te recevoir ; ou les chevaux de Neptune, qui firent, dit-on, rouler sur l’onde le char de Pélops, accourront pour te porter ou tu voudras. » Vous avez une ressource non moins certaine, si vos douleurs en viennent à un tel excès que vous ne puissiez les supporter. Voilà, à peu près, ce que j’ai cru devoir vous dire, quant à présent. Mais peut-être persistez-vous dans votre opinion ? L’a. Point du tout : me voilà en deux jours délivré, ou du moins je m’en flatte, de mes deux plus grandes frayeurs. G. À demain donc. Rhétorique d’abord, puisque nous en sommes convenus ; et philosophie ensuite, car vous ne m’en quittez pas. L’a. Je vous demande l’un, avant midi ; et l’autre à cette même heure. C. Volontiers. Je me prêterai à de si louables désirs.