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CICÉRON

innées, que nous comprenons qu’il y a des Dieux. Or tout jugement de la nature, quand il est universel, est nécessairement vrai. Il faut donc reconnaître qu’il y a des Dieux. Et puisque savants et ignorants s’accordent presque tous là-dessus, il faut donc reconnaître aussi, que les hommes ont naturellement une idée des Dieux, ou, comme j’ai dit, une prénotion. Je fais ce mot à l’exemple d’Epicure, puisque aussi bien ne saurait-on exprimer de nouvelles choses que par des termes nouveaux. Sur ce même principe nous jugeons que les Dieux sont immortels, et souverainement heureux. Car la même impression de la nature, qui nous représente les Dieux, nous persuade aussi de leur immortalité, et de leur félicité. Ainsi nous devons tenir pour vraie, cette maxime d’Epicure : Qu’un être heureux et immortel n’a point de peine, et n’en fait à personne ; que par conséquent il n’est capable ni de colère, ni d’affection, parce que ces sortes de sentiments ne viennent que de faiblesse. On se passerait d’en savoir davantage, si l’on ne voulait que révérer pieusement les Dieux, et se garantir de la superstition. Car d’un côté les Dieux étant immortels, et parfaitement heureux, les hommes dès lors se croiraient obligés à les honorer, parce que la vénération est due à des êtres qui sont d’un ordre supérieur. Et d’autre côté, les Dieux n’étant capables ni de colère, ni d’affection, les hommes dès lors comprendraient qu’ils n’ont rien à craindre de leur part. Mais pour démêler encore mieux la vérité de cette opinion, notre curiosité s’étend jusqu’à vouloir aussi savoir de quelle forme sont les Dieux, comment ils vivent, et de quoi s’occupe leur esprit.

XVIII. À l’égard de leur forme, nous sommes naturellement portés à croire que c’est la forme humaine : et, pour ne pas ramener tout aux notions primitives, j’ajoute que la raison l’enseigne pareillement. Nous le savons, dis-je, par les lumières de la nature : car n’est-ce pas sous cette image que toutes les nations se représentent les Dieux, et qu’ils s’offrent toujours à nos esprits, soit que nous dormions, ou que nous soyons éveillés ? Nous le savons aussi par les lumières de la raison : car puisque la félicité et l’immortalité concourent à les rendre des êtres parfaits, ne leur convient-il pas d’avoir la forme la plus belle de toutes ? Or quelle plus belle forme que celle de l’homme, pour l’assortiment des membres, pour la proportion des traits, pour la taille, pour l’air ? Je m’en rapporte là-dessus, non à notre ami Cotta, qui avance le pour et le contre ; mais à vous, Balbus, qui savez que vos Stoïciens, quand ils prétendent montrer que notre corps est l’ouvrage d’un Dieu, observent avec quel art tout y est placé, autant pour la beauté que pour l’usage. Certainement, de tous les êtres animés, l’homme est le mieux fait. Puisque les Dieux sont du nombre, faisons-les donc ressembler à l’homme. La suprême félicité, d’ailleurs, est leur partage. Or la félicité ne saurait être sans la vertu, ni la vertu sans la raison, ni la raison hors de la forme humaine. Donc les Dieux ont une forme humaine. Je ne dis pas cependant qu’ils aient un corps, ni du sang : mais je dis qu’ils ont comme un corps, et comme du sang. Distinction un peu subtile, qu’Épicure n’a pas mise à la portée du commun. Je devrais ici la développer, si je ne comptais sur votre pénétration.