Page:Cicéron - Œuvres complètes Nisard 1864 tome 4.djvu/104

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
94
CICÉRON

uniquement à ce que vous avez de singulier. Je vous accorde l’existence des Dieux : apprenez-moi donc leur origine, leur demeure, ce qu’ils sont de corps et d’esprit, comment ils vivent ; car voilà ce que j’ai envie de savoir. Vous donnez à vos atomes un empire absolu, qui vous est d’un merveilleux secours. Vous faites d’eux comme le potier de son argile, tout ce qu’il nous plaît. Or je commence par vous nier qu’il y ait des atomes : car tout est plein, et il n’a point d’espace qui ne soit occupé par quelque corps. Donc il ne peut y avoir ni vide, ni atomes.

XXIV. Tels sont les oracles des physiciens. Qu’ils soient vrais ou faux, c’est ce que j’ignore. Toujours sont-ils plus vraisemblables que ces prétendus corpuscules, les uns polis, les autres rudes, ceux-ci ronds, ceux-là terminés en angle, quelques-uns courbes et comme crochus, dont Leucippe et Démocrite ont eu la hardiesse de nous dire que le concours fortuit avait formé le ciel et la terre, sans être déterminé par un agent. C’est par vos soins, Velléius, que cette opinion subsiste encore de nos jours. Vous l’avez plus à cœur que toutes les fortunes imaginables. Avant que de savoir ce que pensaient les Épicuriens, vous aviez cru devoir vous jeter dans leur parti : et puis, les premières démarches étant faites, il a fallu embrasser leurs folles erreurs, ou en venir à une rupture éclatante. Pourrait-on effectivement vous y résoudre, à quelque prix que ce fût ? Rien, dites-vous, n’est capable de me faire quitter une secte qui me rend heureux, et qui me découvre la vérité. Qu’elle vous rende heureux, ce n’est pas là ce que je vous contesterai, puisque vous pensez qu’un Dieu même ne l’est pas, à moins qu’il ne languisse dans une oisiveté parfaite. Mais la vérité, où la mettez-vous ? Apparemment dans ces mondes innombrables, qui naissent et qui périssent à chaque instant : ou dans ces corpuscules indivisibles, qui forment de si beaux ouvrages, sans qu’une cause intelligente dirige leur travail ? Mais c’est oublier que d’abord je vous ai traité avec plus d’indulgence. Eh bien, je vous le passe encore, tout est composé d’atomes. Trouverons-nous là ce que nous cherchons, qui est la nature des Dieux ? Les croyez-vous composés d’atomes ? Ils ne sont donc pas éternels. Car tout être qui est un assemblage d’atomes n’existait pas avant que d’être composé. Donc si les Dieux sont un assemblage d’atomes, ils n’ont pas toujours existé. Donc, n’ayant pas toujours existé, ils auront nécessairement une fin. C’est l’argument que vous avez vous-même employé contre le monde de Platon. Et que devient alors cet être heureux, cet être immortel, qui est ce que vous appelez Dieu ? Vous croyez vous sauver en répondant qu’il y a dans un Dieu, non pas un corps, mais comme un corps ; non pas du sang, mais comme du sang. C’est vous jeter dans les épines, s’il faut ainsi dire, pour vous tirer d’un mauvais pas.

XXV. Vous en usez souvent de la sorte. Quand vous quittez le vraisemblable, aussitôt vous cherchez à vous mettre à couvert de la censure, en recourant à des impossibilités : et cela, avec une audace qui ne vaut pas le sincère aveu que vous feriez de votre erreur. Par exemple, si les atomes, par une suite de leur pesanteur, se portaient directement en bas, Épicure a bien vu que l’homme n’aurait point de liberté, puisque