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DE LA NATURE DES DIEUX, LIV. I.

leur mouvement serait nécessaire et immuable. Pour sortir de là, il a enchéri sur Démocrite, eu supposant que les atomes, outre ce mouvement perpendiculaire que leur donne leur pesanteur, en ont un aussi d’inflexion, qui les écarte un peu de la ligne droite. Il est plus honteux de se défendre par ce détour, que de se rendre sans dispute. Les Dialecticiens enseignent que dans toutes les propositions appelées disjonctives, qui renferment une affirmation et une négation, l'une ou l’autre doit se trouver vraie. Mais de peur que, s’il accordait une proposition telle que celle-ci, Demain Épicure vivra, ou ne vivra pas, ce ne fût reconnaître quelque chose d’inévitable, sa ressource a été de nier que dans ces sortes de propositions, où l’on avance deux contradictoires, l’un ou l’autre dût être nécessairement vrai. Est-il rien qui marque un esprit plus bouché ? Arcésilas prétendait que le rapport des sens était toujours faux : Zénon disait que les sens quelquefois se trompaient, mais ne se trompaient pas toujours : Épicure, ne voyant point de milieu entre se tromper toujours et ne se tromper jamais, a mieux aimé soutenir que tous les sens étaient les messagers de la vérité. C’est le trait d’un habile personnage, qui, pour éviter une légère atteinte, s’attire des coups mortels. Et voilà ce qui lui arrive, quand pour empêcher qu’on ne conclue que les Dieux ne sont pas éternels, s’ils ne sont qu’un assemblage d’atomes, il dit que les Dieux ont, non pas un corps, mais comme un corps : non pas du sang, mais comme du sang.

XXVI. On s’étonne qu’un aruspice en regarde un autre sans rire ; mais moi je suis encore plus surpris que vous puissiez vous tenir de rire, quand vous êtes plusieurs ensemble de votre secte. Non pas un corps, mais comme un corps ! Si l’on appliquait ces paroles à des statues de cire ou de plâtre, je les entendrais : mais à l’égard d’un Dieu, je ne sais ce que veut dire comme un corps, ou comme du sang. Vous n’en savez rien vous-même, Velléius, mais vous ne voulez pas l’avouer. Ce sont des mots que vous récitez comme par cœur d’après Épicure, qui les avait imaginés à ses heures de loisir. Je dis, au reste, qu’il les a imaginés ; car il se glorifie dans ses ouvrages de n’avoir point eu de maître. Je le crois aisément, par la même raison que je croirais une personne qui se vanterait d’avoir bâti sans architecte un fort mauvais édifice. Aussi, ne lui voit-on rien qui sente l’Académie, ni le Lycée : rien même qui montre qu’il ait fait les premières études que font les enfants. Xénocrate, un des grands hommes qu’il y ait eu, aurait pu être son maître ; quelques-uns même prétendent qu’il l’a été : mais Épicure s’en défend ; il faut l’en croire. De son aveu, il prit quelques leçons d’un certain Pamphile, disciple de Platon. Ce fut à Samos, où il a passé sa jeunesse avec son père et ses frères. Son père Néoclès y était allé pour avoir des terres à labourer, et y tenait école, parce que son petit champ ne suffisait pas, je crois, à son entretien. Quoi qu’il en soit, Epicure traite ce Platonicien avec le dernier mépris : tant il a peur qu’on ne le soupçonne d’avoir jamais appris quelque chose. C’est pourtant un fait certain, qu’il a entendu Nausiphane, sectateur de Démocrite. Il n’en disconvient pas lui-même, quoiqu’il l’outrage horriblement. Et après tout, si on ne lui a pas enseigné les opinions de Démocrite, quelle autre instruction avait-il reçue ? Car toute sa physique, n’est-ce pas Démocrite tout pur, à quelques changements près,