Page:Cicéron - Œuvres complètes Nisard 1864 tome 4.djvu/108

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
98
CICÉRON

caprice des peintres et des sculpteurs ; et non-seulement aux traits, mais encore à l’âge, à l’habillement, et à d’autres marques. Il n’en est pas de même pour les Égyptiens, pour les Syriens, pour la plupart des barbares. Vous leur verriez plus de crédulité, plus de respect pour de certains animaux, que nous n’en avons, nous, pour les temples et pour les images des Dieux. Car il y a eu parmi nous quantité de temples pillés, il y a eu des images arrachées des lieux les plus saints : au contraire, il est inouï qu’un Égyptien ait blessé un crocodile, un ibis, un chat. Quoi ! les Égyptiens ne révèrent-ils pas comme un Dieu leur saint bœuf Apis ? Oui, tout aussi religieusement que vous révérez votre démon tutélaire, qui ne se présente jamais à vous, pas même en songe, qu’avec sa peau de chèvre, sa javeline, son petit bouclier, et ses escarpins recourbés en pointe sur le devant. Mais ce n’est pas de cette manière qu’on représente la Junon d’Argos, ni celle de Rome. Ainsi l’idée qu’on se forme de Junon est différente pour ceux d’Argos, pour ceux de Lanuvium, et pour nous : comme nous concevons notre Jupiter du Capitole autrement que les Africains ne conçoivent leur Jupiter Ammon.

XXX. Quelle honte à un physicien, qui doit fouiller dans les secrets de la nature, d’alléguer pour des preuves de la vérité, ce qui n’est que prévention et que coutume ! Suivant la règle que vous établissez, il faudra dire que Jupiter est toujours barbu, et Apollon toujours sans barbe : que Minerve a les yeux pers, et que Neptune les a bleus. Suivant la même règle, nous aurons un Dieu boiteux, parce que le Vulcain d’Athènes, fait par Alcamène, est représenté debout, et vêtu, dans l’attitude d’un boiteux. Ce n’est pas tout, il faudra que les Dieux se nomment ainsi que nous les nommons. Or ils ont autant de noms qu’il y a de langues. Car Vulcain n’est pas appelé Vulcain en Italie, en Afrique, en Espagne, comme vous êtes toujours appelé Velléius, quelque part que vous alliez. D’ailleurs, le nombre des Dieux est innombrable ; mais la liste de leurs noms est assez courte, même dans les livres de nos pontifes. Direz-vous qu’ils n’ont point de nom ? Vous êtes dans la nécessité de le dire. Aussi bien, puisqu’ils ont les mêmes traits, de quoi leur serviraient des noms différents ? Qu’il y aurait eu de sagesse, Velléius, à confesser d’abord que vous ignoriez ce qu’en effet vous ignorez ; plutôt que de nous tenir des propos dont vous sentez présentement le ridicule, et qui vous font pitié à vous-même ! Pensez-vous, en vérité, qu’un Dieu nous ressemble, à vous, ou à moi ? Non, vous n’en croyez rien. Quel parti prendrai-je donc, dites-vous ? Faut-il que je reconnaisse pour Dieu le soleil, ou la lune, ou le ciel ? Pour cela, il faudrait que ce fussent des êtres heureux et sages. Mais quels plaisirs goûtent-ils ? et quelle sagesse auraient des êtres aussi peu animés que des souches ? Je réponds : Si d’un côté je vous ai fait voir que les Dieux ne peuvent avoir une forme humaine ; et si vous êtes persuadé d’ailleurs que nulle autre forme ne leur peut convenir ; pourquoi balancez-vous à nier qu’il y ait des Dieux ? Vous n’osez. Je vous en loue : d’autant plus que, n’ayant point le peuple à craindre ici, sans doute c’est le respect pour les Dieux qui vous arrête. J’ai connu des Épicuriens qui rêvéraient jusqu’aux moindres simulacres. Cependant il y a des gens qui accusent Épicure de n’avoir pas cru l’existence des Dieux, et de l’a-