Page:Cicéron - Œuvres complètes Nisard 1864 tome 4.djvu/112

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
102
CICÉRON

Tout difforme qu’il est, le singe nous ressemble.

Mais le rapport qu’il y a pour la figure entre un chien et un loup ne fait pas qu’il y en ait pour le naturel. Qui croirait, à la grosseur de sa taille, que l’éléphant fut un animal très prudent ? Et pour ne parler que des hommes, n’en voit-on pas qui se ressemblent de visage, mais nullement d’inclination : comme d’autres se ressemblent d’inclination, mais nullement de visage ? Remarquez, Velléius, où nous conduirait votre raisonnement, s’il était admis. Vous disiez : La raison ne peut se trouver hors d’un être qui ait figure humaine. Un autre voudra qu’on ajoute : Hors d’un être qui existe sur la terre ; qui soit né ; qui ait passé le temps de l’enfance ; qui ait été instruit, qui soit composé d’une âme, et d’un corps faible et périssable ; enfin, qui soit un homme, un mortel. Que si vous n’accordez rien de tout cela par rapport à vos Dieux, pourquoi les vouloir précisément de figure humaine ? Car la figure humaine est accompagnée de tout cela dans les êtres raisonnables que vous avez vus. Dire qu’elle seule, considérée sans tous ces accompagnements, vous suffit pour vous peindre un Dieu, c’est parler sans réflexion, et comme s’il n’y avait qu’à dire la première chose que le hasard vous met à la bouche. Prenez garde encore à cet inconvénient, qui est que toute superfluité dans l’homme, et même dans l’arbre, est une incommodité. Un doigt de trop, par exemple, ne peut qu’embarrasser beaucoup. Pourquoi ? Parce cinq suffisent. Or votre Dieu n’a pas seulement un doigt de trop ; il a de trop une tête, un cou, une nuque, des côtes, un ventre, un dos, des jarrets, des mains, des pieds, des cuisses, des jambes. Est-ce pour le rendre immortel, que vous lui donnez ces diverses parties du corps ? On peut vivre sans cela, et sans avoir précisément une telle forme. C’est surtout dans le cerveau que la vie réside ; c’est dans le cœur, dans les poumons, dans le foie ; mais les traits du visage ne servent pas à prolonger nos jours.

XXXVI. Vous blâmiez ceux qui voyant le monde, et ce qui le compose, le ciel, les terres, les mers ; voyant de quel éclat il est revêtu, le soleil, la lune, les étoiles ; voyant les différentes saisons, leur régularité, leurs vicissitudes ; ont jugé par là qu’il y a un être supérieur, qui a formé, qui meut, qui règle, qui gouverne tout. Quand ces philosophes se tromperaient, au moins voit-on sur quoi leur conjecture est fondée. Mais, dans votre système, quel est le chef-d’œuvre qui vous paraisse l’effet d’une intelligence divine, et que nous puissiez regarder comme une preuve qu’il y a des Dieux ? Votre preuve, la voilà : J’avais une certaine notion de Dieu, imprimée dans mon esprit. Mais n’avez-vous pas une semblable notion de Jupiter avec sa grande barbe, et de Minerve avec son casque en tète ? Pour tout cela, les croyez-vous tels ? Que le peuple et les ignorants sont bien plus sensés que vous, en ce qu’ils croient que les Dieux, non-seulement ont des corps tels que les nôtres, mais en font usage ! Par cette raison ils leur donnent un arc, des flèches, une javeline, un bouclier, un trident, un foudre. Quoiqu’ils ne voient aucune action faite par les Dieux, ils ne peuvent néanmoins se figurer un Dieu qui ne fasse rien. Les Égyptiens même, dont on se moque, n’ont pas divinisé une bête, qui ne leur fût de quelque utilité. Les ibis sont de grands