Page:Cicéron - Œuvres complètes Nisard 1864 tome 4.djvu/196

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

croira cependant que les grenouilles aient la faculté de prévoir ? Il faut donc qu’il y ait dans la nature de ces animaux et dans les marais qu’ils habitent je ne sais quelle vertu naturelle, dont l’instinct est presque infaillible, mais qui offre à l’homme on mystère impénétrable. « Le bœuf au pas lent, levant la tête vers le ciel, respire par ses larges naseaux l’humidité contenue dans l’air. » Je ne demande pas pourquoi : je vois le fait et je comprends ce qu’il signifie. « Le lentisque, toujours chargé de feuilles et de fruits, marque les trois saisons du labourage par sa triple floraison, suivie chaque fois de fruits abondants. » Je ne demande pas non plus pourquoi cet arbre seul fleurit trois fois l’an, et pourquoi sa floraison coïncide exactement avec les diverses saisons du labourage. Il me suffit que la chose soit, bien que j’en ignore la raison ; et la remarque que je fais à ce sujet me servira de réponse pour toute espèce de divination.

X. Sans m’inquiéter de la cause, je vois, et ce m’est assez, la vertu purgative de la racine de scammonée, la vertu curative de l’aristoloche, bonne contre le venin des serpents ; cette dernière plante fut ainsi nommée de celui qui, sur la foi d’un songe, en découvrit le premier les effets. Je vois aussi les effets qui suivent les pronostics du vent et de la pluie ; je connais, je constate ces effets dont j’ignore la cause. Je sais pareillement ce que signifient dans la victime la fissure des entrailles et les lobes du foie ; du reste, la cause m’en est inconnue. La vie est pleine de ces observations, car l’usage d’inspecter les entrailles des victimes est presque universel. Pouvons-nous douter des pronostics de la foudre ? Parmi les prodiges de cette sorte, qui ne se rappelle surtout celui-ci ? La statue de Summanus, placée sur le faite du temple de Jupiter Optimus Maximus, fut frappée de la foudre. La tête de cette statue, qui était alors en terre cuite, ne se retrouvant pas, les aruspices annoncèrent qu’elle avait été lancée jusque dans le Tibre. On la découvrit dans le lieu même qu’ils avaient désigné.

XI. Mais quel auteur, quel témoin dois-je préférer à vous-même, à vous dont j’ai appris par cœur, et avec tant de plaisir, les vers que vous prêtez à la muse Uranie dans le second livre de votre Consulat ? « D’abord Jupiter, rayonnant d’une flamme éthérée, se meut, inondant l’univers entier de sa lumière ; le ciel et la terre apparaissent préconçus par cet esprit divin qui, caché dans l’abîme et enveloppé de tout temps par l’éther, contenait en lui la vie et l’intelligence humaine. Veux-tu connaître sous quel signe s’agitent les étoiles que les Grecs appellent mal à propos errantes, et dont la course et la carrière sont au contraire si bien réglées ? L’esprit divin leur a déjà marqué leur place. Toi-même, pendant ton consulat, lorsque tu parcourus les sommets neigeux de l’Albane, épanchant un lait pur dans les fêtes Latines, tu observas les révolutions rapides, le concours des constellations, leur éclat inusité, et les feux irréguliers des comètes, et tu prévis que bientôt le carnage ensanglanterait Rome. Quel triste présage apportèrent les féries, quand la lune, de lumineuse devenant tout à coup obscure, disparut au milieu du ciel étoilé ; quand, plus tard, le disque du soleil, s’arrêtant