Page:Cicéron - Œuvres complètes Nisard 1864 tome 4.djvu/357

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le nom de Scipion ? Retranche toutes les contrées ou votre gloire ne pénétrera pas, et vois dans quelles étroites limites est renfermé pour elle cet univers qu’elle croit remplir. Ceux mêmes qui parlent de vous en parleront-ils longtemps ?

XVI. Quand même les races futures répéteraient à l’envi les louanges de chacun de nous, quand même notre nom se transmettrait dans tout son éclat de génération en génération, les déluges et les embrasements qui doivent changer la face de la terre à des époques immuablement déterminées, ôteraient toujours à notre gloire d’être, je ne dis pas éternelle, mais durable. Et que t’importe d’ailleurs d’être célébré dans les siècles à venir, lorsque tu ne l’as pas été dans les temps écoulés, et par ces hommes tout aussi nombreux et incomparablement meilleurs ?

XVII. Apprends enfin que, parmi ceux qui peuvent être informés de notre gloire, il n’en est pas un dont l’esprit soit capable d’embrasser les souvenirs d’une année. Les hommes mesurent vulgairement l’année par la révolution du soleil, c’est-à-dire d’un seul astre. Mais lorsque tous les astres reviendront en concours au point d’où ils étaient partis, et ramèneront après de longs intervalles la même disposition de toutes les parties du ciel, alors sera véritablement accomplie une année du monde ; et j’ose à peine dire combien cette année renferme de vos siècles. Le soleil disparut jadis aux yeux des hommes et sembla s’éteindre, lorsque l’âme de Romulus pénétra dans nos temples célestes. Eh bien ! lorsque le soleil s’éclipsera de nouveau au même point du ciel et dans les mêmes conjonctures, toutes les planètes et toutes les étoiles se trouvant rappelées dans la même position, une année sera complètement résolue. Mais sache que la vingtième partie de cette année véritable n’est pas encore écoulée.

XVIII. C’est pourquoi, si tu désespères de revenir dans ce séjour, où se trouvent tous les biens des grandes âmes, poursuis cette ombre qu’on appelle la gloire humaine, et qui peut à peine durer quelques jours d’une seule année. Mais si tu veux porter tes regards en haut et les fixer sur ton séjour naturel et ton éternelle patrie, ne donne aucun empire sur toi aux discours du vulgaire ; élève tes vœux au-dessus des récompenses humaines ; que la vertu te montre le chemin de la véritable gloire, et t’y attire par ses charmes. C’est aux autres à savoir ce qu’ils devront dire de toi : ils en parleront sans doute ; mais la plus belle renommée est tenue captive dans ces bornes étroites où votre monde est réduit ; elle n’a pas le don de l’immortalité, elle périt avec les hommes et s’éteint dans l’oubli de la postérité.

XIX. Lorsqu’il eut ainsi parlé, Ô Scipion, lui dis-je, s’il est vrai que les services rendus à la patrie nous ouvrent les portes du ciel, votre fils, qui depuis son enfance a marché sur vos traces et sur celles de Paul-Émile, et n’a peut-être pas manqué à ce difficile héritage de gloire, veut aujourd’hui redoubler d’efforts, à la vue de ce prix admirable. — Courage ! me dit-il, et souviens-toi que si ton corps doit périr, toi, tu n’es pas mortel ; cette forme sensible, ce n’est pas toi ; ce qui fait l’homme, c’est l’âme, et non cette figure que l’on peut montrer du doigt. Sache donc que tu es dieu ; car c’est être dieu que d’avoir la vigueur,