Page:Cicéron - Œuvres complètes Nisard 1864 tome 4.djvu/541

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

faut l’entretenir et y verser de l’huile, autre* ment à la longue elle s’éteint L’exercice finit par appesantir le corps. mais il donne toujours plus de ressort à l’esprit. Et quand Cécilius nous parle de ces imbéciles vieillards de comédie, il faut entendre les vieillards crédules, radoteurs, dont le cerveau déloge ; et certes ce ne sont pas là les défauts de la vieillesse, mais ceux des vieilles gens qui tombent dans l’inertie, la caducité, et une sorte de léthargie morale. L’effronterie et le libertinage se rencontrent plutôt dans le jeune âge que dans la vieillesse, et cependant on ne peut les reprocher à tous les jeunes gens, mais seulement à ceux dont la nature est gâtée ; en même façon cette imbécillité de la vieillesse, qu’on appelle vulgairement seconde enfance, ne se voit pas dans tous les vieillards, mais dans ceux qui ont naturellement un pauvre esprit. Appius avait quatre fils grands garçons, cinq filles, une légion d’esclaves, des clients sans nombre, et il gouvernait ce monde, tout vieux et aveugle qu’il était ; car il tenait toujours son esprit tendu comme un arc, et ne fléchissait pas sous le fardeau de la vieillesse. Il avait su conserver non pas seulement de la considération, mais un véritable empire sur les siens ; ses esclaves le craignaient, ses enfants le vénéraient, tous le chérissaient ; et dans sa maison la discipline ancienne et les traditions de ses pères avaient conservé toute leur vigueur. Un vieillard est toujours honoré quand il sait faire compter avec lui, quand il maintient ses droits, ne se rend l’esclave de personne, et conserve jusqu’à son dernier souffle toute son autorité sur les siens. Comme j’aime le jeune homme qui a quelque chose du vieillard, j’aime le vieillard qui a quelque chose du jeune homme ; en lui le corps peut être vieux, mais l’esprit ne l’est jamais. Je travaille au septième livre de mes Origines, je recueille tous les monuments de l’antiquité, je rédige avec une ardeur toute nouvelle les plaidoyers que j’ai prononces dans une foule de causes célèbres, j’écris sur le droit des augures, des pontifes, et sur le droit civil ; je cultive beaucoup les lettres grecques, et, suivant l’usage des Pythagoriciens, pour exercer ma mémoire, je passe en revue chaque soir tout ce que j’ai dit, entendu et fait pendant le jour. Voilà mes travaux, voilà la carrière où s’exerce mon esprit ; je la trouve assez sérieuse, et j’y déploie assez d’énergie pour ne pas regretter beaucoup l’ancienne vigueur de mon corps. Je suis toujours l’homme de mes amis ; je vais souvent au sénat, j’y ouvre encore plus d’un avis longtemps et profondément médité, et je sais le défendre non pas avec les forces de mon corps, mais avec celles de mon esprit. Si je ne pouvais ainsi m’employer activement, je me consolerais sur mon lit en faisant courir ma pensée, puisque je n’aurais plus qu’elle à mettre en œuvre ; mais je dois à ma vie passée le bonheur de n’en être pas réduit là. Quand on vit au milieu de ces études libérales et de ces grands travaux, la vieillesse arrive sans qu’on s’en aperçoive. L’âge décline insensiblement, on se trouve au terme de sa carrière sans qu’on y pense ; la vie ne nous est point brusquement retirée, mais peu à peu elle se consume et s’éteint d’elle-même.

XII. Vient maintenant le troisième reproche adressé à la vieillesse ; elle est, dit-on, sevrée de tout plaisir. Mais c’est un admirable privilège de notre âge, que de retrancher ce qu’il y a de plus vicieux dans la jeunesse ! Écoutez, mes jeunes amis, ce que disait Archytas de Tarente, un si grand homme et si justement célèbre ; voici ses propres