Page:Cicéron - Œuvres complètes Nisard 1864 tome 4.djvu/553

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cain, son oncle, et tous ces grands hommes qu’il serait trop long de nommer, ont fait tant de nobles actions adressées directement à la postérité, sans voir certainement que la postérité ne serait pas un néant pour eux. Et pour me vanter un peu moi-même, selon l’usage des vieillards, croyez-vous que j’aurais entrepris et supporté tant de travaux et tant de veilles à Rome et dans les camps, si j’eusse pensé que ma gloire ne dût pas s’étendre au delà de ma vie mortelle ? N’eût-il pas mieux valu couler mes jours dans le repos et le loisir, sans fatigues ni sueurs ? Mais je ne sais par quel ressort mon esprit, se rehaussant toujours, portait ses regards vers la postérité, et semblait attendre le terme de ma carrière mortelle pour commencer à vivre. Si nous ne sommes pas immortels, comment donc expliquer cet élan des grandes âmes, qui ne poursuivent au monde que l’immortalité de la gloire ? Voyez la sérénité du sage dans la mort, voyez le trouble de l’insensé : ne vous semble-t-ilpas que l’âme du premier, dont le regard est plus sûr et plus perçant, a découvert au delà du tombeau une vie meilleure, que l’insensé, tout enveloppé de ténèbres, ne sait pas apercevoir ? Pour moi, je suis transporté du désir d’aller revoir vos pères, que j’honorais et que je chérissais ; il me tarde de me trouver dans la société non-seulement de ceux que j’ai connus, mais de ceux dont j’ai ouï parler, dont j’ai lu ou écrit moi-même les belles actions. Je vais arriver, le chemin s’avance ; je crois qu’il serait bien difficile de me faire revenir sur mes pas : qui voudrait me rajeunir comme Pélias, s’adresserait mal. Un dieu lui-même me proposerait de renaître, et s’offrirait à me remettre au sein de ma nourrice, que je le remercierais très-résolument. Je touche au terme de la carrière, et je n’ai nullement l’envie d’être rappelé de la borne au point de départ. Qu’a donc la vie de tellement agréable ? N’est-elle pas une longue école de souffrance ? Admettons qu’elle ait des plaisirs ; il "doit venir un jour où l’homme en sera rassasié et détaché. Je ne veux pourtant pas médire de la vie, comme Font fait tant de philosophes ; je ne me repens point d’avoir vécu, parce que je crois que je n’ai point été inutile au monde ; et je quitte la vie comme on sort d’une hôtellerie et non de sa maison paternelle. La nature nous a mis sur cette terre pour y séjourner, mais non pour l’habiter toujours. Ο le beau jour que celui où je partirai pour cette assemblée céleste, pour ce divin conseil des âmes, et où je m’éloignerai de cette tourbe et serai délivré de son contact impur ! J’irai rejoindre tous les grands hommes dont je vous parlais, et au milieu d’eux mon enfant chéri, le meilleur des hommes, le plus pieux des fils. J’ai mis son corps sur le bûcher, et c’est lui qui aurait dû rendre ce triste devoir à son père ; mais son âme ne m’a pas abandonné, et, me regardant d’en haut, elle a pris place dans ces demeures éternelles où elle voyait bien que je la rejoindrais un jour. J’ai paru supporter mon malheur avec courage, non pas qu’il n’eût déchiré mon cœur, mais je me consolais en pensant que cet adieu et cette séparation ne seraient pas de longue durée. Voilà les convictions qui me donnent la force que vous admiriez tant, Scipion et Lélius ; grâce à elles, je ne sens pas le fardeau des années, et, bien loin que la vieillesse me soit importune, j’y trouve des agréments nombreux. Si je