pas méchants. Quoi ! cet homme si sévère ne croit pas que la sensualité soit d'elle-même condamnable ? Et pour vous dire vrai, Torquatus, il a raison de ne le pas croire, si la volupté est le souverain bien : car il n'est pas ici question de ces sensuels outrés, qui vomissent sur la table, qu'il faut emporter du festin, et qui, dès le lendemain, l'estomac encore plein de crudités, se livrent aux mêmes excès ; qui se vantent de n'avoir jamais vu ni coucher ni lever le soleil, et qui, après avoir dissipé leur patrimoine, sont réduits à n'avoir plus rien. Il n'y a personne qui puisse croire que la vie de ces sortes de gens soit agréable. Mais parlez-moi de ces voluptueux de bon ton et de bon goût, qui ont d'excellents cuisiniers, des pâtissiers choisis, la meilleure marée, la meilleure volaille, le meilleur gibier, et qui savent éviter les indigestions ; “ auxquels on verse le vin à plein dans les coupes d'or, ” comme dit Lucilius, “ qui d'ailleurs ne prendraient rien à autrui, pourvu qu'ils possèdent du pouvoir et une bourse pleine, ” qui savent enfin se divertir et goûter tous les plaisirs sans lesquels Épicure s'écrie qu'il ne connaît point de bonheur ; joignez-y, si vous voulez, des esclaves jeunes et beaux pour servir à table ; et que les tapis, l'argenterie, l'airain de Corinthe, le lieu même, et la maison, répondent à ces apprêts. De tels hommes vivent-ils bien ? vivent-ils heureusement ? je ne le dirai jamais.
Je ne nie pas que la volupté ne soit volupté ; mais je nie que ce soit le souverain bien. Lorsque Lélius, qui avait été disciple de Diogène le stoïcien, et ensuite de Panétius, fut appelé sage, ce ne fut pas qu'il n'eût pas de goût pour une table bien servie (car le bon goût de l'esprit n'empêche pas celui