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Page:Cicéron - Des suprêmes biens et des suprêmes maux, traduction Guyau, 1875.djvu/133

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CHAPITRE XXI.
LA VOLUPTÉ ET LES VERTUS. — LE TABLEAU DE CLÉANTHE.
Il faut que les épicuriens, on condamment les actions purement désintéressées, ou abandonnent leur système. — On devrait éprouver de la honte à soutenir Epicure. — L’image fidèle de la doctrine épicurienne a été tracée par Cléanthe, qui montrait à ses auditeurs la volupté assise sur un trône et ayant autour d’elle les vertus pour servantes.

Il faut, Torquatus, ou que vous condamniez ces actions, ou que vous abandonniez la cause de la volupté. Et quelle est, après tout, cette cause en faveur de laquelle on ne peut alléguer aucun des grands hommes de l’antiquité ? au lieu que, pour témoins et partisans de la nôtre, nous vous produisons de grands personnages, qui ont passé toute leur vie dans de glorieux travaux, et qui ne voulaient pas même entendre parler de volupté : vous autres épicuriens, vous demeurez muets là-dessus dans vos disputes. Je n’ai jamais oui nommer dans l’école d’Épicure, ni Lycurgue, ni Solon, ni Miltiade, ni Thémistocle, ni Epaminondas, qui sont dans la bouche de tous les autres philosophes : et aujourd’hui que nous traitons aussi ces matières, Atticus, si profondément instruit de nos antiquités, pourra nous fournir des exemples non moins illustres.

Ne vaut-il pas mieux en dire quelque chose que de remplir tant de volumes de Thémiste seule[1] ? C’est un privilége des Grecs : nous leur devons la philosophie et toutes les belles connaissances ; mais il n’en est pas moins vrai qu’ils prennent des libertés qui nous sont interdites. Les stoïciens et les péripatéticiens sont en contestation : ceux-là disent qu’il n’y a rien de bien que ce qui est honnête[2] ; ceux-ci disent qu’on ne peut trop louer, trop estimer, trop élever ce qui est honnête, mais qu’il ne laisse pas d’y voir encore d’autres

  1. Thémiste, de Lampsaque, fille de Zoïle. Sur les lettres qu’Epicure lui écrivit, voir Diogène Laerce, N, init, Epicure lui dédia un livre intitulé Néoclès.
  2. V. les livres III et IV du De finibus.