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Page:Cicéron - Des suprêmes biens et des suprêmes maux, traduction Guyau, 1875.djvu/278

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devenir un corps animé, si l’âme y était aussi à l’étroit, si son activité y était aussi resserrée qu’elle l’était auparavant dans les organes de notre corps. Je le répète donc : après la dissolution de l’enveloppe corporelle et l’expiration du souffle vital, il faut que le sentiment s’éteigne dans l’âme, puisque ce sont deux effets soumis à la même cause.

Enfin, puisque les membres ne peuvent soutenir le départ de l’âme sans se corrompre avec une odeur fétide, peut-on douter que l’âme décomposée ne se soit échappée du fond de nos corps comme la fumée de l’intérieur du bois ? Cette altération des membres, causée par la putréfaction, cet écroulement général de l’édifice corporel n’annoncent-ils pas que l’âme, qui lui servait de base, a été déplacée, et que ses parties se sont dissipées par toutes les issues, tous les conduits de la machine ? Ainsi tout prouve que l’âme sort des membres divisés, et qu’elle ne nage dans le fluide de l’air qu’après avoir été décomposée dans le corps.

Souvent même, sans quitter le séjour de la vie, l’âme, ébranlée par une violente secousse, paraît sur le point de s’en aller ; tout l’organisme se relâche, le visage devient languissant comme au moment du trépas, et les membres flottants semblent prêts à se détacher d’un tronc où le sang ne circule plus. Tel est l’état d’un homme qui tombe en défaillance et qui perd la connaissance ; assaut terrible dans lequel toutes les forces du corps cherchent à retrouver le lien qui les unit. Car alors l’âme entière tombe abattue avec le corps, et périrait, si le choc devenait plus violent. Et tu crois que, sortie des membres, impuissante contre les attaques extérieures, sans abri, sans défense, il lui est possible de subsister, je ne dis pas pendant l’éternité, mais même un seul instant ?

D’ailleurs, un mourant ne sent pas son âme sortir saine et sauve de son corps, et monter successivement du gosier au palais : elle s’éteint à son tour, comme les autres sens, à l’endroit où la nature l’a placée. Si elle était immortelle, bien loin de gémir de sa dissolution, elle s’en irait avec joie ; elle sortirait du corps, comme le serpent quitte sa dépouille, comme le cerf se défait de son vieux bois.

Mais si l’âme est immortelle de sa nature, si, dégagée du corps, elle a la faculté de sentir, il faut, ce me semble, qu’elle ait cinq organes : on ne peut pas se la représenter