Pourvus de mains robustes et de pieds agiles, ils faisaient la guerre aux animaux sauvages, leur lançaient de loin des pierres, les attaquaient de près avec de pesantes massues, en massacraient un grand nombre, et s’enfuyaient dans leurs retraites à l’approche de quelques autres ; quand la nuit les surprenait, ils étendaient à terre leurs membres nus, comme les sangliers couverts de soies, et s’enveloppaient de feuilles et de broussailles. On ne les voyait point, saisis de crainte, errer au milieu des ténèbres et chercher avec des cris lugubres le soleil dans les plaines ; mais ils attendaient en silence, dans les bras du sommeil, que cet astre, reparaissant sur horizon, éclairât de nouveau le ciel de ses feux. Accoutumés dès l’enfance à la succession alternative du jour et de la nuit, ce n’était plus une merveille pour eux ; ils ne craignaient point qu’une nuit éternelle régnât sur la terre, et leur dérobât pour toujours la lumière du soleil. Leur plus grande inquiétude était causée par les bêtes sauvages, dont les incursions troublaient leur sommeil et le leur rendaient souvent funeste : chassés de leur demeure, ils se réfugiaient dans les antres à l’approche de quelque énorme sanglier ou d’un lion furieux ; et glacés d’effroi ils cédaient au milieu de la nuit leurs lits de feuillage à ces hôtes cruels.
Cependant la mort ne moissonnait guère plus de têtes dans ces premiers siècles qu’elle n’en moissonne aujourd’hui. Il est vrai qu’un plus grand nombre d’entre eux, surpris et déchirés par les bêtes féroces, leur donnaient un repas vivant ; mais un même jour ne faisait pas périr des milliers d’hommes sous des drapeaux différents, mais la mer orageuse ne broyait pas contre les écueils navires et passagers. C’était alors la disette des vivres qui donnait la mort, comme l’abondance nous lue aujourd’hui : on s’empoisonnait par ignorance, nous nous empoisonnons à force d’art.
Enfin, lorsqu’on eut connu l’usage des cabanes, de la dépouille des bêtes et du feu, lorsque la femme se fut retirée à part avec l’époux qui s’était joint à elle, et que les parents virent autour d’eux une famille qui leur devait le jour, l’espèce humaine commença dès lors à s’amollir. Le feu rendit les corps plus sensibles au froid, la voûte des cieux ne fut plus un toit suffisant ; les tendres caresses des enfants adoucirent sans peine le naturel farouche des pères. Alors