Vous voyez de quelle nature est la volupté dont j’entends ici parler, afin qu’un mot qu’on prend souvent en mauvaise part ne décrédite point mes discours. L’ignorance de ce qui est bon ou mauvais est le principal inconvénient de la vie ; et comme l’erreur où l’on est là-dessus prive souvent les hommes des plaisirs les plus sensibles, et les livre souvent aussi à des peines inconcevables, il n’y a que la sagesse qui, nous dépouillant de toutes sortes de mauvaises craintes et de mauvais désirs, et nous arrachant le bandeau des fausses opinions, puisse nous conduire sûrement à la volupté. Il n’y a que la sagesse qui bannisse le chagrin de notre esprit, qui nous empêche de nous abandonner à de mauvaises frayeurs, et qui, éteignant en nous par ses préceptes l’ardeur des désirs, puisse nous faire mener une vie tranquille : car les désirs sont insatiables, et non-seulement ils perdent les particuliers, mais souvent ils ruinent les familles entières, et même les républiques. De là viennent les haines, les dissensions, les discordes, les séditions, les guerres. Et ce n’est point seulement au dehors que les cupidités agissent avec une impétuosité aveugle ; elles combattent les unes contre les autres au dedans de nous-mêmes, et elles ne sont jamais d’accord. Comme il serait donc impossible que la vie ne devînt par là très-amère, le sage seul, en retranchant en lui toute sorte de crainte frivole et d’erreur, et en se renfermant dans les bornes de la nature, peut mener une vie exempte de crainte et de chagrin.
En effet, quoi de plus utile et de plus propre à contribuer à la félicité de la vie,