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MADAME ROLAND

La poésie se débattait en plein drame et la muse luttait contre le flot d’angoisse qui menaçait de tout couler bas. Où était la jeune espérance de 1789, la fière certitude de la reine girondine et même les mauvaises heures qui, parfois, sonnaient aux Jacobins ?

La Révolution court à sa perte et l’étranger est là. Oui, nous le savons, Mme Roland restera digne d’elle-même. Elle est prête à mourir. Mais ce n’est pas la question. C’est Danton, le « gros turbot farci », comme disait Vadier, Danton, quoi de plus cruel, Danton dont elle était la vertueuse ennemie, Danton qui, le moment venu, saura se rassembler dans un effort efficace et sauver la France. Mme Roland écrit à Bancal :

Longwy a été livré, Thionville est bloqué, Verdun insulté. Tout cela doit être sous peu au pouvoir des Prussiens. Ils veulent arriver à Paris et je ne sais pas ce qui pourra les en empêcher… Il n’y a pas de troupes… il n’y a pas d’armes… Prêchez les patriotes ardents et envoyez-nous-les si vous voulez nous conserver. Il n’y a pas un moment à perdre… je ne vous parlerai pas de toutes les mesures que nous prenons, mais nous avons beau ne pas dormir et déployer une activité plus qu’humaine, il est impossible de réparer en peu d’heures l’effet de quatre années de trahison.

Ce ne fut pas une guerre, mais une croisade. Trois cent mille inscrits volontaires partirent pour les armées. Le Ça ira était le mot de passe de la confiance, un mot à mettre en pendant avec le On les aura de la dernière guerre. Il n’y a pas eu forlignage. La race n’a pas dégénéré.

Mme Roland constate le désordre général, l’anarchie qui monte comme une mer d’équinoxe. Paris est semblable à un organisme en état de fermentation mortelle, qui se décompose sous l’action d’une affreuse septicémie. Le poison était dans le conseil même, renouvelé tous les jours par les soins du ministre Duranthon (pourtant indiqué par Vergniaud) qui était en secret l’homme de Louis XVI. Il en résultait une obstruction systématique qui mettait continuellement en question l’harmonie de l’action gouvernementale, gênée d’autre