Page:Claude Farrère - Les civilisés, 1905.djvu/12

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théâtre littéraire. Votre préface, mon ami, conduisait le lecteur dans notre intimité. Vous racontiez véridiquement le hasard singulier qui nous mit en relations, et comment je fis ma première visite à Pierre Louÿs un quinze juin, jour de Grand Prix. — À mon tour de conter mon anecdocte. Mon ami, nous sommes de plus vieilles connaissances que vous ne pensez : je vous ai rencontré pour la première fois, — la vraie première fois, — six ans avant le quinze juin que je rappelais tout à l’heure. Mais de cette rencontre-ci, vous ne pouvez point avoir gardé mémoire, — et pour cause. J’avais vingt ans bien juste. J’allais partir pour un très grand voyage — pour le Sénégal, les Antilles et New-Orleans. Et, je passais à Marseille, chez un ami, ma dernière semaine de France. Une nuit d’insomnie entêtée, j’avisai sur ma table les trois ou quatre derniers romans parus, et j’en pris un au hasard, qui me séduisit par sa robe couleur de citron pâle et son titre imprimé en bleu. Ce roman s’appelait Aphrodite. Je l’ouvris au milieu, comme on ouvre toujours les romans, et j’essayai, par son secours, de conquérir le sommeil.

Or, le sommeil fut insaisissable. Vainement j’allai jusqu’à la dernière page, puis je repartis de la première. Je recommençai. Je recommençai encore. Peine perdue : l’aurore me trouva éveillé. Dans cette seule nuit, j’ai lu six fois tel chapitre que je relis