Page:Claude Farrère - Les civilisés, 1905.djvu/154

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

priait justement aujourd’hui de fréquenter chez lui.

— Ça tombe à merveille. Vous verrez Mme Malais chez nous, et vous nous verrez chez elle. C’est une amie tout à fait parfaite… »

Mlle Sélysette détaille les perfections de Mme Malais. Fierce songe que le hasard prend quelquefois des proportions de providence. Hier, tout s’est enchaîné à miracle pour le lasser, pour l’écœurer de sa vie ancienne ; aujourd’hui tout conspire pour l’attirer vers une nouvelle vie. Hier, le monde qu’il hantait lui a coquettement étalé toutes ses taches et toutes ses tares ; aujourd’hui, un monde neuf et séduisant lui ouvre à deux battants sa plus grande porte. Il entrera…

La voiture s’arrête. C’est le terme de la promenade ; la route aboutit au fleuve, et il n’y a ni pont, ni quai. Un bac traverse, et sur l’autre bord, Tuduc se cache parmi les aréquiers ; on ne voit que trois cañhas de torchis et de chaume.

Percée par la rivière comme par une géante allée, la forêt reflue sur les deux rives en futaies épaisses. Les arbres baignent leurs racines jusque dans le courant, et l’eau jaune en est moirée de vert. Les aréquiers endiguent ainsi le Donaï entre deux haies opaques, deux palissades de troncs pressés que couronnent des frises de palmes en panaches. Le soleil, exclu de la forêt, prend sa revanche entre ces haies, sur l’allée liquide, et l’eau incendiée flamboie…

Les chevaux soufflent. Le saïs indifférent renoue la mèche de son fouet.