Page:Claude Farrère - Les civilisés, 1905.djvu/111

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Ma foi, ils ont été de beaux soldats. Ils ne ressemblaient pas aux soldats d’aujourd’hui : ils n’étaient ni littérateurs, ni musiciens, ni artistes. Mais, sur le champ de bataille, les ennemis avaient peur d’eux. Ils étaient presque tous d’abominables soudards, et ils frondaient insolemment les constitutions et les lois. Mais, le moment venu, pour ces mêmes lois tant raillées, ils savaient mourir.

Nous n’avons plus de ces gens-là : la race en est morte. Tant mieux ou tant pis, comme il vous plaira. C’était une race barbare, qui jurait avec le monde moderne. Mais c’était une race pittoresque et glorieuse ; c’était la race des soldats. Maintenant, il n’y a plus de soldats. J’ai connu les derniers : Courbet, Sylva… »

M. d’Orvilliers se tait tout à coup ; car Mlle Sylva est à côté de lui : il l’avait oubliée dans le feu de son discours. Mlle Sylva, cependant, est impassible quoique fort pâle. Fierce, qui ne la quitte pas des yeux, aperçoit tout juste le frémissement de sa bouche fière et la fièvre de ses doigts crispés sur son mouchoir.

Le gouverneur, sceptique et courtois, objecte :

— « Plus de soldats ? Considérez pourtant, mon cher amiral, que jamais mieux qu’aujourd’hui le droit ne s’est identifié à la force, de par les parlements et les majorités. Donc, jamais mieux qu’aujourd’hui les soldats n’ont été nécessaires. Je vous concède qu’ils ne ressemblent plus aux soldats de jadis, qu’ils sont, si vous y tenez, des littérateurs, des artistes et des