Page:Claude Farrère - Les civilisés, 1905.djvu/151

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ou au Japon, il faudra que nous recommencions notre connaissance…

— Peut-être. Je m’imagine ressembler à une plaque photographique : un rayon de soleil, et l’image impressionnée s’efface ; mais il suffirait d’un fixatif pour faire une épreuve inaltérable.

— Et le fixatif ?

— Je ne l’ai pas encore trouvé. »

Un long silence. La route s’est insinuée dans les bois d’aréquiers qui avoisinent Tuduc ; il n’y a plus maintenant de magnolias, ni de rizières, ni de poussière rouge poudroyant au soleil. Les aréquiers exclusifs pressent les uns contre les autres leurs troncs grêles et droits, — entrelacent étroitement leurs palmes épanouies à cinquante pieds du sol ; et cela fait une voûte sombre de temple, que supportent d’innombrables colonnes ioniques. Entre les arbres, la terre est brune, et des flaques d’eau luisent. Toute la forêt se tait.

Mlle Sylva, les mains jointes sur un genou, regarde avidement et ne parle point. Fierce admire les graves yeux pers, et s’étonne qu’une petite fille sache voir la beauté d’un bois sans fleurs, sans oiseaux et sans soleil.

— « Monsieur, dit l’aveugle, je pense que tout à l’heure vous ne nous avez pas tout dit. Je conçois très bien que dans chaque pays nouveau, vous vous découvriez comme une âme nouvelle ; mais il me semble que partout vous devez quand même vous souvenir de votre foyer, de votre famille ; et ce sou-