Page:Claude Farrère - Les civilisés, 1905.djvu/163

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

XIV

La fumerie de Torral était obscure, parce que les abat-jour à grandes lattes excluaient le soleil de deux heures. La lampe à opium jaunissait seule le plafond, et des volutes brunes roulaient pesamment dans l’air imprégné de la drogue. Le grésillement menu des pipes alternait avec du silence. Torral fumait, ses boys assoupis à ses pieds.

L’heure torride de la sieste abrutie, sans rêves. Saïgon dort, et le soleil meurtrier règne dans les rues vides. Les fumeurs seuls continuent de vivre au fond des fumeries closes, et le fil de leur pensée, miraculeusement assoupli par l’opium, s’étire au delà du monde humain, s’allonge jusqu’aux régions bienveillantes et lucides que Kouong-Tseu voulut jadis ouvrir à ses disciples.

Couché sur le flanc gauche, sa main droite présentant l’aiguille à la lampe, Torral préparait sa sixième pipée. Il avait entassé sous lui des coussins de Cambodge, en paille de riz fraîche ; son pyjama, débraillé,