Page:Claude Farrère - Les civilisés, 1905.djvu/171

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ouaté. Les portes-croisées semblaient petites, à travers leurs stores de tulle que la brise traversait sans les soulever ; les murs étaient ensevelis sous une mousseline mauve trop longue et trop large, qui débordait partout en plis traînants ; et la même mousseline drapait les tête-à-tête et les sofas de rotin, et s’attachait en rideaux, par des embrasses lâches, aux deux portes toujours fermées ; — si bien que tant d’étoffe molle tamisait dans la chambre un air de sécurité et de secret. Ce qui se disait, ce qui se faisait entre ces murs soyeux n’en sortait pas ; gestes et paroles s’ensevelissaient dans le bruissement complice des tentures tombantes. Et beaucoup de femmes venaient dans ce confessionnal avouer et soigner l’avarie gênante à quoi presque tout Saïgon se résigne ; et beaucoup, indemnes ou guéries, acceptaient ou sollicitaient d’autres soins, sur les sofas toujours prêts.

Un confessionnal ; — pas un cabinet ; — un confessionnal capitonné pour péchés très mondains. Ni livres, ni papiers, ni trousse : des bibelots, des odeurs, des éventails, et l’en-cas ordinaire de liqueurs et de confiseries.

Mévil, au fond d’une chaise longue, regardait sa cigarette s’éteindre dans son cendrier. Sur les nattes feutrées trottinait la congaï, la fillette annamite moitié servante, moitié épouse, qui complète indispensablement le mobilier d’un Européen d’Indo-Chine ; — quatorze ans, des yeux veloutés, une longue bouche obscène et de maigres mains adroites à tout