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Il feuilletait l’album ; c’étaient des photographies, des portraits ; les pages tournaient sous son doigt sans qu’il prît garde aux visages reconnus de loin en loin : il méditait de s’en aller sans plus attendre, et regardait la porte ouverte.

Il tressaillit tout à coup : près de fermer l’album il venait d’y voir une photographie de Mlle Sylva.

Il n’en avait jamais vue ; c’était la première. Elle était fidèle et jolie ; il crut voir Sélysette elle-même : il sentit à sa gorge l’angoisse légère qui le troublait toujours dès qu’elle paraissait.

… Sélysette elle-même ; sa robe favorite, échancrée sur des revers de mousseline ; ses cheveux capricieux d’or clair, et son sourire, et la rêverie de ses yeux…

Les stores baissés faisaient le salon sombre.

Fierce, sans hésiter, vola la photographie dans l’album. — Ses doigts tremblaient un peu : il dut se déganter, parce que la carte ne glissait pas bien dans la fente de la page.

Après, il releva la tête, et regarda vers la porte ; des pas s’entendaient au dehors. Il glissa le portrait dans sa poitrine, — sous la chemise, contre la peau : le portrait put entendre le cœur qui battait fort de peur et d’audace ; — et il s’esquiva vite, en voleur qu’il était.

Mais revenu à bord, dans sa chambre bleue verrouillée, il connut une telle ivresse de joie devant ce portrait conquis, — trophée, trésor, relique, — il versa des larmes si folles sur cette Sélysette prison-