Page:Claude Farrère - Les civilisés, 1905.djvu/238

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fut très heureux durant pas mal d’années. Or, l’autre mois, il eut envie d’une femme, — après beaucoup d’autres, — et cette femme, par exception, le repoussa. Tu sais qui : ta chaste amie, la conjointe de cette brute de fermier d’impôts qui révolutionne le pays. — Peu importe, d’ailleurs. — Mévil, qui tient à ses idées, s’entêta. C’était exagéré mais tout le monde, peu ou prou, exagère : moi, je m’entête parfois à chercher d’inutiles solutions de géométrie pure. Il n’y a pas grand mal à tout cela. Le mal a commencé quand Mévil, pour cette maîtresse qu’il ne pouvait avoir, a jeté à la rue les maîtresses qu’il avait. — C’était un bon début de folie : les femmes n’ont pas plusieurs spasmes à notre service : qu’importe donc le marchand si la marchandise est identique ? Une préférence fondée nécessairement sur un détail ou un accessoire ne doit pas nous encombrer, dès qu’il s’agit de l’essentiel, — l’accouplement. — Mévil déraillait du bon sens. Il dérailla bientôt davantage.

« Il se toqua d’une seconde femme, — la petite Abel ; et cette fois, ce fut la folie complète. Si absurde qu’il fût à propos de la Malais, son amour pour elle avait encore une fin raisonnable : le désir ; il la voulait dans son lit. C’était du rut enguirlandé, mais enfin, c’était du rut. Pour la petite Abel, il donna dans le platonisme. Il l’aima sans savoir pourquoi, et d’un amour sans but qui confine à l’aliénation mentale. Car enfin, je suis le plus tolérant des hommes, et j’admets l’amour platonique, qui est une façon