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XXV

La lettre de Torral ne parvint pas à Fierce, non plus qu’un volumineux courrier de Mlle Sylva, parti par le même premier paquebot. Le Bayard, avançant soudain son départ de plusieurs jours, avait appareillé d’Hong-Kong sans nouvelles de Saïgon. Ces surprises sont choses habituelles à la mer, et les marins n’y prennent pas garde. Quand même, Fierce regretta l’absence de lettres ; c’était dur de s’en aller ainsi, pour on ne savait où, — destination secrète, — sans même emporter le viatique de quelques phrases douces, d’une pensée tendre, d’un chiffon de papier touché par la fiancée. Cette lettre désirée comme un remède urgent, il partait sans qu’elle fût venue le guérir. Il partait fiévreux et troublé, la chair en révolte, l’esprit chancelant. Tout son scepticisme, tout son nihilisme d’antan l’assiégeait depuis la fête anglaise. Malgré ses fiançailles, malgré l’amour pur et profond qui lui brûlait le cœur, il avait suffi d’une